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avec des torches visiter les carrosses, et vous ne leur sauriez échapper. » Alors quelques prélats se levèrent, et, s’adressant à l’assemblée, demandèrent qu’on prît des mesures pour les garantir de la fureur populaire. Cette motion fut reçue avec des sourires moqueurs par plusieurs des lords à qui elle était proposée. Il y en eut pourtant (lord Manchester entre autres) qui offrirent de prendre sous leur protection l’archevêque et sa compagnie, qu’ils reconduiraient chez eux. Ce qui fut dit fut fait, et chacun en somme put rentrer fort paisiblement chez soi ; quelques prélats même ne jugèrent pas à propos de se faire ainsi escorter, et se bornèrent à sortir quelques minutes plus tard que le reste des lords.

Quelques-uns de ceux qui s’en étaient allés avec l’archevêque Williams passèrent la nuit dans sa maison, où ils élaborèrent de concert une assez étrange pétition au roi. Ils y disaient « qu’à raison des tumultes qui depuis trois journées assiégeaient Westminster, ils étaient empêchés de prendre librement leurs places aux séances, qu’ils n’entendaient plus assister aux délibérations jusqu’à ce que sa majesté les eût mis à l’abri de pareils dangers et de pareilles insultes, et qu’en conséquence les soussignés protestaient contre toutes lois, ordonnances, résolutions quelconques et déterminations qui seraient débattues et votées en leur absence, comme étant en elles-mêmes nulles et de nul effet. » Le lendemain, ils convoquèrent leurs collègues, et, sous l’influence de Williams, onze autres évêques joignirent leur signature à la sienne. L’un d’eux (Hall) a soutenu depuis qu’ils étaient convenus d’en délibérer encore avant de remettre cette pétition ; mais à peine Williams eut-il en main les précieuses signatures que le jour suivant, de bon matin, il porta la pétition à White-Hall. Là, tout à point et par une assez étrange coïncidence, le lord keeper[1] Littleton se trouvait avec le roi, qui, jetant à peine un coup d’œil sur le papier (dont peut-être il connaissait déjà le contenu), le remit incontinent au lord keeper, et une heure après la pièce était lue à la chambre des lords, où vous pouvez juger qu’elle produisit une vive indignation. Aux communes, quand on la connut, ce fut bien une autre tempête. L’outrecuidance des évêques y parut monstrueuse. — « Eh quoi ! disait-on, ces gens-ci ne se contentent pas de se plaindre ! ils prétendent, par leur absence, toute volontaire, infirmer nos délibérations et paralyser l’autorité du parlement ?… » Ce Cromwell, dont je vous parlais, était un des plus indignés. Je l’ouïs pérorer en un groupe où il disait : « Ah ! certes, voilà de vrais évêques !… Voilà bien l’esprit épiscopal !… Ces hommes-là ne connaissent point Dieu. Ils ne savent

  1. Keeper of the great seal, le garde du grand-sceau. — Il est membre du conseil privé : son autorité va presque de pair avec celle du lord-chancelier.