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cause ne diffère pas de l’effet, que les puissances génératrices ne sont que les propriétés élémentaires, que la force active par laquelle nous figurons la nature n’est que la nécessité logique qui transforme l’un dans l’autre le composé et le simple, le fait et la loi. Par là nous désignons d’avance le terme de toute science, et nous tenons la puissante formule qui, établissant la liaison invincible et la production spontanée des êtres, pose dans la nature le ressort de la nature, en même temps qu’elle enfonce et serre au cœur de toute chose vivante les tenailles d’acier de la nécessité.

Pouvons-nous connaître ces élémens premiers ? Pour mon compte, je le pense, et la raison en est qu’étant des abstraits, ils ne sont pas situés en dehors des faits, mais compris en eux, en telle sorte qu’il n’y a qu’à les en retirer. Bien plus, étant les plus abstraits, c’est-à-dire les plus généraux de tous, il n’y a pas de fait qui ne les comprenne et dont on ne puisse les extraire. Si limitée que soit notre expérience, nous pouvons donc les atteindre, et c’est d’après cette remarque que les modernes métaphysiciens d’Allemagne ont tenté leurs grandes constructions. Ils ont compris qu’il y a des notions simples, c’est-à-dire des abstraits indécomposables, que leurs combinaisons engendrent le reste, et que les règles de leurs unions ou de leurs contrariétés mutuelles sont les lois premières de l’univers. Ils ont essayé de les atteindre et de retrouver par la pensée pure le monde tel que l’observation nous l’a montré. Ils ont échoué à demi, et leur gigantesque bâtisse, toute factice et fragile, pend en ruine, semblable à ces échafaudages provisoires qui ne servent qu’à marquer le plan d’un édifice futur. C’est qu’avec un sens profond de notre puissance, ils n’ont point eu la vue exacte de nos limites, car nous sommes débordés de tous côtés par l’infinité du temps et de l’espace ; nous nous trouvons jetés dans ce monstrueux univers comme un coquillage au bord d’une grève ou comme une fourmi au pied d’un talus. En ceci, Mill dit vrai ; le hasard se rencontre au terme de toutes nos connaissances comme au commencement de toutes nos données : nous avons beau faire, nous ne pouvons que remonter, et par conjecture encore, jusqu’à un état initial ; mais cet état dépend d’un précédent, qui dépend d’un autre, et ainsi de suite, en sorte que nous sommes obligés de l’accepter comme une pure donnée, et de renoncer à le déduire, quoique nous sachions qu’il doive être déduit. Il en est ainsi dans toutes les sciences, en géologie, en histoire naturelle, en physique, en chimie, en psychologie, en histoire, et l’accident primitif étend ses effets dans toutes les parties de la sphère où il est compris. S’il avait été différent, nous n’aurions ni les mêmes planètes, ni les mêmes espèces chimiques, ni les mêmes végétaux, ni les mêmes animaux, ni les mêmes races d’hommes, ni peut-être