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on guère cultiver le sol qu’à l’issue des vallons arrosés. Dans les premières années de la colonisation, la terre humide, laissée probablement en friche depuis des siècles ou même depuis l’émersion du plateau d’Utah hors du sein des mers, était assez féconde ; quelques localités favorisées, où le sol consiste en débris de feldspath, offraient des récoltes presque aussi abondantes que celles des états atlantiques ; mais la terre végétale, qui repose sur une couche d’argile saline[1], perd graduellement ses élémens nutritifs, et le sous-sol argileux ramené à la surface des champs se trouve en contact avec les racines des plantes et les brûle par son âcre vertu. Des terrains qui donnent la première année des moissons abondantes produisent à peine quelques tiges amaigries pendant la deuxième année et n’offrent plus, à la récolte suivante, qu’une surface poudreuse où l’on aperçoit çà et là quelques touffes d’herbes jaunies. Aussi les agriculteurs d’Utah sont-ils nécessairement nomades. Lors de leur arrivée dans le Grand-Bassin, les colons s’établirent sur les bords du lac d’Utah et dans les parties de la vallée le plus facilement accessibles ; mais la détérioration de leurs champs les force à remonter les vallons latéraux, et chaque année ils pénètrent plus avant dans l’intérieur des montagnes. Le territoire cultivable de cette terre de promission, déjà si faible en comparaison des riches campagnes de la Californie et des états atlantiques, diminue tous les ans en même temps que la population augmente. À cette infertilité du sol il faut ajouter le fléau des sauterelles, ces insectes que les mormons, dans leur langage imagé, disent avoir été produits par le croisement de l’araignée et du buffle des prairies. On a calculé que le territoire d’Utah ne pourrait jamais, dans l’état actuel de nos connaissances agricoles, nourrir plus d’un million d’hommes. Le grenier des mormons est Cache-Valley, située au nord du Grand-Lac.

À l’ouest de la vallée du Jourdain et de la petite chaîne des montagnes d’Oquirrh s’étend le désert, immense surface d’argile parsemée de touffes d’artemisia. En certains endroits cependant elle n’offre aucune trace de végétation, et ressemble à une chaussée de béton découpée par d’innombrables fissures en polygones presque réguliers. Aucun ruisselet ne coule au milieu de ces solitudes desséchées, aucune source n’y jaillit ; seulement, après avoir marché pendant de longues heures, le voyageur rencontre parfois quelque champ de sel cristallisé, étendue blanche où les nuages et l’azur du ciel se mirent comme dans la nappe d’un lac. À l’extrême horizon se montrent quel-

  1. Cette argile est connue sous le nom d’argile salæratus (salæratus-clay). Salæratus signifie carbonate de soude. M. Engelmann a trouvé dans cette argile du sel commun, du sulfate de chaux, une forte proportion de sulfate de magnésie, et seulement quelques traces de matière organique.