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saxonnes, un pape américain pose sur son front la triple tiare, et réunit dans ses mains le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.

M. Remy et presque tous les historiens qui se sont occupés des origines de la religion nouvelle croient que Joseph Smith, le fondateur du mormonisme, n’a jamais été qu’un vil hypocrite. Seul parmi tous les révélateurs, il n’aurait eu qu’une ambition vulgaire au service d’une intelligence plus vulgaire encore. Remarquant autour de lui la lutte de sectes nombreuses, le conflit de mille opinions, voyant dans sa mère elle-même le jouet de ses hallucinations religieuses, il aurait cru le moment favorable pour se poser en prophète, se faire un cortège de dupes et marcher dans le chemin des honneurs et de la fortune. Il est probable que Joseph Smith inaugura ainsi par le mensonge sa carrière de voyant ; mais, comme tant d’autres hypocrites qui ont surgi dans tous les temps, n’aurait-il pas succombé sous l’indifférence et le mépris, s’il n’avait fini lui-même par croire à sa doctrine et à ses révélations ? Il semble vraiment impossible qu’un homme puisse fonder une religion sans être convaincu lui-même, sans être pénétré de cette foi qui transporte les montagnes et change le cœur des hommes. Pour convertir à la vérité ou à la folie, il faut être son propre disciple, plein de ferveur et de dévouement ; il faut aller droit à son but, sans arrière-pensée, sans restriction mentale, sans remords. Cette foi invincible, cette sincérité absolue peuvent s’allier avec une parfaite connaissance des hommes et une diplomatie admirable ; mais les fondateurs de religion mettent leurs passions, leurs talens, leurs calculs et tout leur être à la disposition de la foi qui les entraîne.

Pour l’honneur de l’humanité, nous croyons que l’œuvre de Joseph Smith ne fait pas exception dans l’histoire des croyances. L’ambition aiguisée, l’orgueil de la lutte, la volonté indomptable, le désir de la vengeance, agissant de concert avec la folie contagieuse de ses disciples, transformèrent sans doute à ses propres yeux tous ses mensonges en autant d’articles de foi, et pendant les dernières années de sa vie il devint un vates inspiré. Il avait commencé sa carrière en vil imposteur, il la termina en prophète convaincu. Et ce qui nous aide à croire à la sincérité finale de cet homme, c’est que, loin de se laisser corrompre par le pouvoir comme la plupart des parvenus, il gagna sous tous les rapports à la fois. Pendant son règne de prophète, il ne cessa d’être vraiment juste, bon, animé d’un merveilleux esprit de charité ; il s’occupait sans cesse des pauvres et des nécessiteux, les visitait de préférence, les prenait pour confidens. Il exerçait une fascination irrésistible par son amabilité et le charme de ses manières. « Il était d’une bonté paternelle pour ses amis, d’une magnanimité remarquable à l’égard de ses ennemis. Son passe-temps