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Inutile pour les garçons, l’instruction doit être funeste aux filles. « Coudre, tricoter, jardiner, faire la cuisine, nettoyer la maison, voilà la science des femmes, dit Brigham. Si vous les bourrez de lecture, elles s’adonnent aux romans, aux contes et autres drogues du même genre, elles négligent leurs devoirs et n’obéissent plus à leurs maris et à leurs pères. Apprenez-leur à travailler ! Apprenez-leur à travailler ! » Quelle différence, sous le rapport de l’instruction, entre le pays des mormons et les états de la Nouvelle-Angleterre, de New-York, de l’Ohio, du far west ! Là, plus du septième de la population fréquente les écoles ; les cours publics, les collèges, les instituts, les universités se multiplient, les professeurs occupent le premier rang dans l’estime de tous, et la grande préoccupation des législateurs est toujours d’assurer la dotation des établissemens d’instruction publique. Malgré son vif désir de juger favorablement les saints, M. Remy ne peut s’empêcher d’avouer que leurs enfans sont en général grossiers, menteurs, libertins avant l’âge ; ils emploient de préférence un langage honteux, comme si les mystères de la polygamie leur avaient été révélés dès l’âge de raison. Cette corruption précoce des enfans tient à plusieurs causes : ils ont été privés presque complètement de la tendresse paternelle, ils n’ont pas appris à respecter par-dessus tout leurs mères, qu’ils voient fréquemment humilier, ils ont été initiés trop tôt à des secrets ignobles ; leur apprentissage grossier du seul travail des mains et l’absence à peu près complète de toute étude intellectuelle ne sont pas de nature d’ailleurs à purifier leurs cœurs et à relever leurs esprits.

Les mormons méprisent toutes les sciences et professent une véritable horreur pour la médecine. En effet, des gens qui ne s’appartiennent plus, qui mettent leur corps et leur âme sous la sauvegarde des représentans mêmes de Dieu sur la terre, feraient un acte d’impiété s’ils ne demandaient point la santé à leurs prêtres. Quelques médecins américains, établis à Great-Salt-Lake-City, osent s’arroger le droit de guérison et se poser ainsi en rivaux sacrilèges de Brigham Young : on tolère leur présence, mais les saints qui s’adressent à eux en cachette sont considérés comme faibles en la foi ou même comme des apostats, et ne peuvent être reçus de nouveau dans le sein de l’église qu’après avoir été lavés par un second baptême. Seuls, les prêtres ont le droit de guérir. Pour accomplir cette œuvre, ils n’ont point besoin d’étudier longtemps l’anatomie ou la physiologie : il leur suffit de verser de l’huile sur le malade, de lui imposer les mains et de prier longuement près de son lit. Lorsque le patient guérit, grâce à la nature ou à son ardente foi, c’est au prêtre qu’il en fait remonter la reconnaissance et la gloire ; mais, si la maladie se termine par la mort, on voit dans cet événement la