Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besogne en les remettant à l’ancien salaire. La raison n’est que spécieuse ; ils en ont une autre qu’ils cachent, c’est qu’ils craignent d’être rayés de la liste des secours. Ils travailleraient donc pour rien en définitive ? Ne vaut-il pas mieux tendre la main ? Voilà la défaillance morale, là dégradation qu’engendre l’aumône.

Au lieu de donner au jour le jour pour entretenir et surexciter la paresse, ceux que tourmente le noble besoin de consacrer au service des pauvres leur temps et leur argent doivent s’attacher à créer des institutions ; s’ils font encore quelques aumônes directes, qu’ils les réservent aux incurables. Une bienfaisance éclairée fait la même distinction entre les pauvres qu’un médecin entre les malades. Elle a ses incurables qu’elle prend à sa charge : ce sont ceux qui ne peuvent plus être sauvés ni par eux-mêmes, ni par la famille, véritables épaves de la charité ; pour les autres, c’est à leur courage qu’elle en appelle, c’est par leurs propres efforts qu’elle les guérit. Ce n’est pas une aumône qu’elle met dans les mains inoccupées qui se tendent vers elle, c’est un outil.

Il y a deux sortes d’institutions destinées à combattre le paupérisme ; les unes, toutes curatives, remplacent la famille absente, font ce que ne peut faire ou ce que ne fait pas la famille. Elles sont à la fois nécessaires et dangereuses, nécessaires, parce qu’on ne peut abandonner ni un orphelin, ni un vieillard que personne ne réclame, dangereuses, parce qu’elles facilitent trop souvent l’oubli du devoir filial et du devoir paternel. D’autres institutions sont au contraire préventives ; elles ont pour but d’éclairer et de développer la volonté, C’est par elles que la famille sera reconstituée et le paupérisme vaincu.

Parmi les institutions de la première sorte se rangent les crèches, les asiles, les pensions d’apprentis, les patronages de tout genre, les sociétés alimentaires, les hôpitaux et les hospices.

Avant que l’enfant du pauvre vienne dans le monde où tant de douleurs l’attendent, la bienfaisance a songé à lui. Les sociétés de maternité ont veillé au chevet de sa mère. L’hospice des enfans trouvés le protège contre l’abandon. Dès qu’il commence à pouvoir poser ses pieds sur la terre, on lui ouvre la crèche, où il trouve un air pur, des alimens, des soins maternels. L’asile le recueille un peu plus tard, et lui fait une enfance plus douce, hélas ! que ne sera le reste de sa vie. À peine peut-il tenir un fuseau dans ses petites mains que la famille songe à le retirer de l’asile pour le faire asseoir devant un rouet. Même alors la bienfaisance publique veille encore sur lui, quoique de plus loin. Elle lui tient ses écoles ouvertes, elle l’y appelle. Trop souvent il n’a pas le temps d’étudier. Si la campagne ne lui offre aucune ressource, le père, pour lui donner un état, l’envoie à la ville, l’abandonne dans ce gouffre. Que