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procurer une autre. Partout j’obtins la même réponse : « Il doit y en avoir à Naples. » En revanche, les images de sainteté abondent : portraits de saints et de saintes, tableaux de l’enfer et du paradis, amulettes, scapulaires, rosaires, reliquaires, chapelets, médailles bénites ou à bénir, etc. Cosenza est la métropole de l’iconolâtrie. Dans la maison où nous sommes logés, maison de grande apparence et dont le propriétaire, homme noble du pays et libéral, dit-on, s’est enfui à la campagne, redoutant les excès de la brigade Cardarelli, les murs disparaissent littéralement sous une incroyable quantité d’estampes infimes représentant toutes des saints et des saintes dont le nom même nous était inconnu. De petites images ornées d’une légende en vers de mirliton sont accrochées aux quatre pieds de chaque lit. Pourquoi ? « Pour éloigner les punaises ! » Ce fut, je l’affirme, la réponse qui fut faite à notre question. Je serais tenté de dire comme le président de Brosses : « Laissons ces pauvretés et n’achevons point, il est indigne de voir combien la misérable superstition souille la religion par ses momeries ; » mais il faut ajouter que cette superstition est la religion même du pays : c’est par elle que ces peuples intelligens et vigoureux ont été réduits à un état d’incroyable atonie. Ici l’image n’est pas seulement la figuration de la Divinité, elle est la Divinité elle-même. Toucher à une image est un sacrilège. C’est à l’image et non à ce qu’elle représente que l’on adresse des vœux, des prières et des offrandes. À Naples, la statue de saint Janvier a une cour (c’est le mot consacré) formée par un régiment de statues de saints qui, dit-on, lui sont inférieurs. À Rome, le bambino d’Ara Cœli a un maillot de perles fines qui vaut plusieurs millions ; il a un carrosse de gala pour le conduire près des malades désespérés que sa vue seule rappelle à la santé. La vieille histoire du brigand romagnol qui, après avoir tué et pillé, va dévotement offrir à la santissima madre une part de son butin, est absolument vraie. Pour la plupart des Italiens, et l’on peut dire pour tous ceux de l’Italie méridionale, l’image est Dieu, c’est l’image même qu’on invoque, qu’on prie, qu’on accuse, par qui l’on jure. Les plus intelligens, les plus violens esprits même n’échappent point à cette contagion que transmet la tradition, que cultive la famille et qu’augmente avec soin l’intérêt de ceux qui l’ont fait naître. J’en eus un exemple curieux il y a déjà longtemps. C’était au mois de mars 1851 ; revenant du Péloponèse, j’avais pris terre en Italie au petit port de Brindisi. Pour me rendre à Naples, j’allai en vetturino jusqu’à Bari. Là, mon compagnon de voyage et moi, nous prîmes la malle-poste dont nous voulions le coupé pour nous seuls. Une place qui y avait déjà été retenue nous fut gracieusement cédée par un jeune homme, qui voulut bien se caser dans l’intérieur, nous demandant seulement la permission de