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perpétue pendant la durée de l’empire byzantin. Si cette dénomination est, comme tout permet de le croire, une transcription grecque de celle d’Adighé que l’une des trois fractions des Tcherkesses s’attribue comme appellation nationale, ce serait le plus ancien souvenir de l’existence de cette tribu et de sa présence, dans le siècle qui a précédé notre ère, aux lieux où nous la retrouvons maintenant. Les Zikhes ont été assimilés quelquefois aux Kescheks des géographes arabes, aux Kassogues de Nestor et des autres chroniqueurs russes ; mais comme un auteur du ixe siècle, l’empereur Constantin Porphyrogénète, distingue les Zekhes des habitans de la Kassachia, qu’il relègue plus loin, il est probable que ces derniers représentent les Kabardiens ou Tcherkesses orientaux, ainsi que l’a supposé un savant orientaliste prussien, Jules Klaproth[1].

Les Tcherkesses, comme les autres enfans du Caucase, dépourvus de toute culture intellectuelle, ignorent l’art de fixer la pensée par des signes conventionnels ; par conséquent ils n’ont point de monumens écrits, et ne se sont jamais inquiétés de préserver de l’oubli la mémoire du passé. Ce n’est que de loin en loin que se rencontrent quelques lambeaux de leur histoire dans des annales étrangères. Ces témoignages, quoique rares, nous apprennent que les Tcherkesses ont été asservis ou inquiétés par tous les peuples qui ont dicté des lois à la péninsule taurique, Romains, Grecs-Byzantins, Huns, Khazares, Russes et Mongols, ainsi que par les Géorgiens, mais que rien n’a pu affaiblir leur indomptable amour de l’indépendance et qu’ils ont secoué le joug dès qu’ils l’ont pu. Lorsque les Romains eurent réduit sous leur obéissance toute l’Asie-Mineure et sous leur vasselage le royaume du Bosphore, une des conditions stratégiques de cette occupation fut la liberté du passage sur la côte qui relie le Bosphore avec le continent au sud ; ils n’avaient pas négligé de l’imposer à tous les chefs de cette Côte, et la menace énergique que profère Arrien contre les Sanni ou Macrones insurgés prouve avec quelle vigilance ils les tenaient en respect.

L’autorité romaine dans ces parages lointains et inhospitaliers s’affaiblit néanmoins, et la côte circassienne dut être abandonnée pendant les désordres occasionnés par l’incurie ou l’ineptie des successeurs des Antonins, par les rivalités qui se disputaient le trône impérial, les préoccupations et les périls que provoquait l’irruption imminente des Barbares. Les empereurs d’Orient, dans le lot desquels le Caucase était échu, n’avaient plus même la pensée d’y revendiquer un pouvoir nominal. Les steppes au nord de l’isthme étaient sillonnés par cette tourbe de nations que l’Asie versait à flots pressés

  1. Voyage au Caucase, t. II, p. 379.