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ruines sont éparses dans ces montagnes, et dont l’érection est attribuée par la tradition à la reine Thamar, annoncent des tentatives de conversion qui supposent comme prémisse une assez longue sujétion ; mais en 1424, le roi Alexandre ayant partagé son royaume entre ses fils, l’affaiblissement dans lequel tomba la Géorgie permit aux montagnards de se soulever, et les Tcherkesses ne furent pas des derniers. Une inscription gravée sur la porte d’une chapelle adossée à l’église épiscopale de la Khopi, dans la Mingrélie, et qui est de la fin du XVe siècle, rappelle qu’un certain Dadian Wamek, eristhav (gouverneur) de ce dernier pays pour le roi Bagrat VI, entreprit une grande expédition contre les Tcherkesses afin de les faire rentrer dans le devoir. L’histoire ne nous dit pas s’il réussit ; tout ce que nous savons, c’est qu’en 1509 ceux-ci, sous la conduite de leur prince Inâl, fondirent sur la province géorgienne d’Iméreth, et que, poursuivis par les Mingréliens et les habitans du Gouria, ils les repoussèrent et les massacrèrent tous jusqu’au dernier[1].

Presque en même temps que s’accomplissaient ces événemens s’élevait tout auprès des Tcherkesses. une puissance formée des débris de l’empire mongol du Kiptchak, la dynastie des khans de Crimée, qui revendiqua sur leur territoire des droits toujours et vivement contestés. Le dernier de ces khans, Schahyn-Ghireï, réduit aux abois par des défections, les prétentions rivales et les intrigues croisées de la Russie et de la Porte, abdiqua, et Catherine II, par un manifeste en date du 8 avril 1783, déclara annexer à son empire, outre la Crimée, la presqu’île de Taman et tout le pays compris entre la Mer-Noire et le Kouban, comme une compensation des pertes et des frais qu’elle avait supportés pour y maintenir la tranquillité à la suite de la guerre de 1829 contre la Turquie, le sultan Mahmoud céda à la Russie, par le traité d’Andrinople, tout le littoral entre les bouches du Kouban et le port Saint-Nicolas. À quel titre Mahmoud fit-il cet abandon ? C’est là une question à laquelle donna lieu, on se le rappelle, la prise du navire anglais le Vixen, en 1836, dans les eaux de la baie de Ghelindjik par la croisière russe, et qui souleva dans la presse et le parlement britanniques une discussion animée. On objecta que le droit exercé par la Porte était contestable, puisque les Tcherkesses n’étaient point ses sujets politiques, et que les souverains ottomans n’avaient jamais eu sur eux qu’une suprématie religieuse à titre d’héritiers des khalifes, pontifes suprêmes de l’islamisme, suprématie analogue à celle du pape sur les nations catholiques.

Quoi qu’il en soit, la conquête a pu continuer ses progrès dans

  1. Dubois de Montpéreux, Voyage autour du Caucase, t. Ier, p. 76 et 77.