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cette partie du Caucase sans autre obstacle que la défense isolée et de plus en plus affaiblie des Tcherkesses, placés à cette heure dans la dure alternative de subir un asservissement complet ou d’émigrer sur le territoire ottoman. Vainement le traité de Paris (1856), en excluant de la Mer-Noire neutralisée le pavillon de guerre de toutes les nations[1] et en rendant moins rigoureux le blocus des côtes de la Circassie, a pu permettre à ces montagnards de reprendre leurs relations avec Constantinople, d’en faire venir quelques secours, et en même temps de recommencer leurs courses maritimes. Au commencement de 1857, leurs chefs, et dans le nombre deux des plus influens, Sefer-Pacha et Naïb-Emyn, sentant le besoin de l’union contre l’ennemi commun et faisant taire leurs anciennes rivalités, convinrent de remettre le commandement suprême à un étranger. Leur choix tomba sur Mehemed-Bey, renégat hongrois du nom de Bangya. Celui-ci envoya immédiatement à Londres un de ses compatriotes pour acheter des munitions et des armes, une presse de campagne destinée à imprimer les proclamations et une machine à battre monnaie. L’expédition, renforcée par quatre cent quarante hommes recrutés à Constantinople principalement parmi les réfugiés polonais, arriva à Touab, sur le littoral circassien, sous pavillon anglais. L’ambassadeur russe, prévenu trop tard, dut se borner à faire partir aussitôt le bateau, à vapeur le Pruth pour surveiller l’expédition. Cette nouvelle levée de boucliers n’aura été, on peut l’affirmer dès à présent, qu’un dernier et inutile effort. Depuis le mois d’août ou de septembre 1859, époque qui coïncide avec la ruine et la catastrophe de Schamyl, jusqu’en janvier 1860, une foule de tribus du flanc droit se sont résignées à faire acte d’obéissance. C’est là sans contredit un fait significatif comme augure de la prochaine pacification de tout le Caucase. Cependant il ne faut point se laisser aller encore trop facilement aux illusions

  1. Articles 11 et 14. — La convention additionnelle entre l’empereur de Russie et le sultan, annexée au traité de Paris, réduit les forces navales que chacune des deux puissances pourra entretenir dans la Mer-Noire à six bâtimens à vapeur de 50 mètres de longueur à la flottaison, chacun de 800 tonneaux au maximum, et à deux bâtimens légers à vapeur ou à voile de 200 tonneaux. — Nous n’avons point à nous préoccuper ici des raisons de haute convenance politique qui ont dicté cette mesure et l’ont fait accepter par la Turquie et la Russie, mais à signaler l’effet qu’elle a produit sur la police de la côte tcherkesse. Il est constant que les kotchermas turques y ont reparu aussitôt et que la contrebande a recommencé. On lit dans le Journal de Constantinople du 20 septembre 1860 : « Un navire a été attaqué près de la côte d’Asie par des bateaux circassiens. Ces pirates, après avoir tué ou fait prisonnier tout l’équipage, ont confié leur capture à sept d’entre eux, pendant que les bateaux se rendaient à terre pour amener d’autres montagnards et enlever plus promptement le butin. Peu de temps après qu’ils furent partis, un vent de terre s’éleva et poussa au large le bâtiment avec les montagnards restés à bord, et on ne sait depuis quel a été leur sort. »