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que l’on se fait ailleurs, et oublier que ces soumissions offertes par les montagnards, convaincus qu’ils ne peuvent plus résister, ne sont durables que tout autant qu’elles sont maintenues par la crainte d’une force supérieure ; l’expérience l’a démontré plus d’une fois dans ces derniers temps, et tout récemment par l’exemple des Bjedoukhs, qui en septembre 1859 envoyèrent une députation à l’ataman des Cosaques de la Mer-Noire pour annoncer qu’ils mettaient bas les armes, et ont guerroyé pendant tout l’été de 1860 contre les trois détachemens du corps d’occupation du flanc droit. En ce moment même, ils combattent encore, renforcés par les Schapsougs, clan très puissant, les Oubykhs et tous les réfractaires détachés des tribus qui ont demandé l’aman.

À côté de ces tentatives de résistance se produit aussi, il est vrai, un mouvement d’émigration qui ne permettra point aux tribus du Caucase occidental de soutenir longtemps la lutte. On sait qu’une fraction, au nombre de soixante-dix ou quatre-vingt mille âmes, préférant l’exil à la servitude, est allée chercher dans l’empire ottoman, parmi des coreligionnaires, une hospitalité qui n’a pas été mise en défaut. Ces émigrans ont obtenu du sultan quelques secours et des terres dans l’Asie-Mineure, les uns du côté d’Amasie, les autres sur les frontières de la Karamanie. On peut croire qu’ils ont cédé, en se déplaçant ainsi, à leurs scrupules religieux principalement, puisque leur retraite correspond à celle des Tartares musulmans de Crimée, qui continuent chaque jour à s’embarquer pour Constantinople avec leurs familles et tout ce qu’ils possèdent : déplacement d’autant plus fâcheux qu’il prive la péninsule de la classe de ses habitans la plus utile, celle qui prêtait ses bras à la culture des champs et aux travaux manuels[1].


II. — LES TCHERKESSES KABARDIENS.

Les Kabardiens ou Tcherkesses orientaux sont mieux connus que ceux de la branche occidentale, dont nous avons essayé de montrer la situation difficile. De bonne heure ils ont été mêlés aux événemens du dehors, et sont parvenus, par leurs relations extérieures, à un degré de civilisation supérieure à celle des tribus environnantes ;

  1. Le Caucase, journal de Tiflis, annonçait récemment qu’à l’exception de la partie montagneuse des districts de Simphéropol, Théodosie et Yalta, la Crimée est presque entièrement déserte, et que le petit nombre de Tartares qui n’ont pas encore quitté la péninsule se sont déjà munis de passe-ports pour partir au commencement du printemps. Les tentatives faites par les propriétaires pour embaucher des ouvriers dans l’Ukraine présentent de grandes difficultés, un laboureur de cette dernière contrée réclamant un salaire de 80 à 120 roubles argent par an, tandis qu’il était aisé autrefois de se procurer un Tartare pour 35 ou 45 roubles au plus.