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d’environ quarante-trois mille âmes, dont vingt-cinq mille dans la grande Kabarda et quinze mille dans la petite. Les aoûls des Kabardiens ressemblent de loin aux villages russes ; vus de près, l’aspect change entièrement : ils n’ont pas de rues, et les maisons sont disposées par groupes ; elles sont construites en tourlouk, enduites de terre glaise, et contiennent plusieurs chambres avec des portes basses et de petites ouvertures pour fenêtres ; le sol est la terre, mais si bien battue qu’il n’y a pas trace de poussière ; la toiture est en joncs. Une haie en branchages entoure la maison principale, qui sert de demeure au propriétaire, et une habitation séparée pour les hôtes (konaks) du sexe masculin, nommée hadjichidjé. L’ameublement se compose de lits larges et bas que recouvrent des feutres et des tapis, et de tables basses et rondes. Comme moyens de transport, ces peuples ont l’araba, charrette carrée à deux roues, traînée par une paire de bœufs. Jusqu’à présent, le régime de la propriété foncière individuelle leur a été inconnu. Chacun dispose à son gré des terres situées autour de l’aoûl et laissées libres. Ce système d’indivision est une source de querelles continuelles et le principal obstacle au développement de l’économie rurale. Les forêts appartiennent à tous, et chacun peut aller y abattre le bois nécessaire à sa consommation particulière ; mais nul n’a le droit d’en exporter pour la vente sans avoir versé dans la caisse communale une somme préalablement fixée. Ainsi réglementé, le commerce du bois se fait sur une grande échelle ; mais il est loin d’égaler en importance celui de la cire, du miel et de la laine, des chevaux et des bestiaux. Les chevaux des Kabardiens sont en renom partout, et ils en vendent un nombre considérable aux foires de Piatigorsk, Giorgievsk, Stavropol et Mozdok, en Géorgie et dans la Russie méridionale. Leur industrie est assez bornée et ne dépasse pas les besoins de la consommation locale. Ils fabriquent cette sorte de drap connue sous la dénomination de drap tcherkesse, des bourkas (manteaux) solides et en même temps légers et imperméables, différens objets en cuir richement brodés d’or et d’argent, tels que housses de pistolets, chabraques, tcheviaki (souliers), et des arçons avec coussins, très commodes pour le cavalier et sa monture[1].

À côté des Kabardiens, entièrement soumis à la Russie, d’autres tribus gardent leur autonomie et leurs chefs indigènes tout en reconnaissant la domination du tsar. Telle est celle des Abadzas, les Abasges des écrivains de l’antiquité, convertis au christianisme par Justinien. Les Abasges se signalèrent pendant les guerres de l’empire d’Orient contre les Perses ; se déclarant tantôt pour un parti, tantôt pour l’autre, ils gardaient le passage le plus important du

  1. Prince T. Baratof, Description de la Kabarda.