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droits contre l’exportation n’a cessé de fonctionner, et malgré cet obstacle légal la sortie de nos grains a pris des proportions considérables. Pendant que l’importation n’atteignait en 1858 et 1859 que 2 millions de quintaux, l’exportation montait en 1858 à 5 millions de quintaux et en 1859 à 8 millions. En 1860, les prix s’étant relevés chez nous, le jeu de l’échelle mobile est devenu très actif, et malgré des droits prohibitifs qui montent contre l’exportation jusqu’à 12 francs l’hectolitre, l’exportation a encore atteint 5 millions de quintaux. On ne peut pas estimer à moins de 300 millions de francs l’excédant de l’exportation sur l’importation pendant ces trois ans, soit cent millions en moyenne par an qui sont entrés dans la poche de nos producteurs. Il est en outre à remarquer que le tiers au moins de cette immense exportation se fait en farines, c’est-à-dire qu’au profit agricole vient se joindre un profit industriel, et que les issues, si précieuses pour la nourriture du bétail, restent en France sans diminuer le bénéfice en argent. Voilà la nouvelle face de la question qui, apparue tout à coup au milieu du débat, a fait réfléchir sérieusement les partisans les plus prononcés du régime restrictif. On s’est demandé si, en sacrifiant la liberté d’exportation pour entraver la liberté d’importation, les agriculteurs français n’avaient pas fait un métier de dupes et délaissé l’avantage positif pour courir après la chimère.

Une étude plus attentive de la production et de la consommation n’a pas tardé alors à montrer la véritable situation des choses. La France agricole peut être, partagée en deux moitiés égales, l’une au nord, l’autre au midi ; la moitié septentrionale produit déjà et surtout peut produire fort au-delà de sa consommation ; la moitié méridionale reste au contraire un peu au-dessous de ses besoins. Le transport des grains du nord au midi entraîne des frais qui ne-profitent ni aux producteurs ni aux consommateurs, tandis que, par un heureux hasard, la partie de la France qui manque de grains se trouve à portée des pays qui peuvent lui en vendre, et la partie qui en a trop à portée de ceux qui peuvent lui en acheter. De là l’existence simultanée d’un double courant commercial, un courant d’importation dans le midi, un courant d’exportation dans le nord, et comme les besoins de ceux qui nous achètent sont plus grands que les produits de ceux qui nous vendent, le courant d’exportation est beaucoup plus fort que le courant d’importation ; une entrée moyenne annuelle de 2 millions de quintaux métriques de grains par la côte de la Méditerranée, une sortie moyenne annuelle de 8 à 10 millions de quintaux métriques par la côte de l’Océan, tel paraît être le mouvement naturel de notre commerce livré à lui-même. Poser ainsi la question, n’est-ce pas la résoudre ?