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Tu- Pour céder à leurs vœux, l’on a été obligé d’ajourner l’entrée de M. della Rovere au ministère de la guerre ; il faudra laisser deux mois encore en Sicile le ministre désigné, dont le jeune et habile général Cugia fera l’intérim. On peut donc espérer que les affaires intérieures de la péninsule ne se gâteront point, et qu’au contraire les Italiens, avec cette intelligence politique dont ils ont déjà donné tant de preuves, tiendront à honneur de montrer à l’Europe qu’ils sont capables d’achever l’œuvre qu’ils avaient commencée sous la conduite de M. de Cavour.

Au même degré que l’union, la prudence est en ce moment le devoir des Italiens. Quelque bonne opinion que les Italiens aient d’eux-mêmes, les esprits éclairés parmi eux ne sauraient méconnaître que l’Italie a besoin plus que jamais d’activés alliances, et que parmi ces amitiés étrangères la plus efficace et la plus décisive est envers eux celle de la France. Pour compléter son indépendance et constituer son unité, l’Italie a deux questions difficiles à résoudre, la question de Rome et la question de Venise. Ni dans le présent ni dans l’avenir, l’Italie ne saurait espérer de résoudre ces questions sans le concours ou du moins contre le gré de la France. Nous ne devons pas assurément demander à l’Italie d’oublier ces questions vitales pour elle. Nous ne saurions exiger qu’elle cessât de se préparer à l’achèvement de son indépendance et de son unité. La France désavouerait ce qu’elle a fait pour l’Italie, elle se démentirait elle-même, elle changerait son alliance en une ingérence oppressive, si elle affichait de telles prétentions ; mais, en restant sur le terrain de l’alliance, nous pouvons représenter à l’Italie qu’elle doit, par réciprocité d’amitié, consulter dans son action sur Rome et sur Venise les difficultés et les nécessités de la politique française. Prier les Italiens de nous donner le temps de nous convaincre qu’ils peuvent suppléer aux facultés de gouvernement que nous reconnaissions à M. de Cavour, serait-ce abuser de leur patience ? Leur dire que la France regarde le maintien de la paix comme un intérêt de premier ordre pour elle, et qu’elle espère que les Italiens ne la contrarieront point dans un intérêt si précieux par des entreprises téméraires, serait-ce dépasser la réciprocité qu’ils nous doivent dans l’alliance ? Nous ne le pensons point, et nous croyons qu’ils seront de notre avis. En demandant aux Italiens de ne point attaquer l’Autriche dans la Vénétie, nous ne leur imposons aucun sacrifice, nous les couvrons plutôt dans leur amour-propre, car il est manifeste qu’ils ne sont point encore en mesure d’entreprendre la guerre contre une des premières puissances militaires de l’Europe. Quant à la question romaine, il est évident qu’elle ne peut être tranchée par la force tant que la France restera à Rome. Il est certain en outre que toute solution par la force serait mauvaise, lors même que la France évacuerait le patrimoine de l’église. La question romaine appartient surtout à l’ordre moral ; c’est dans la sphère morale que M. de Cavour l’avait placée en établissant la liberté de l’église comme la compensation magnifique de l’abdication du pouvoir temporel. Dans ces termes mêmes, on peut la poursuivre plus efficacement que la gé-