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néralité ne le pense, ou du moins la laisser mûrir. L’on voit que les intérêts mêmes de l’Italie invitent aujourd’hui les Italiens à la prudence dans les affaires de Rome et de Venise, et que si les avis de la France, nous ne disons pas les conditions imposées par elle, leur recommandent la sagesse, ils ne font que s’ajouter par surcroît aux conseils que leur donne déjà le juste sentiment de leur situation.

Nous avons parlé aussi délicatement qu’il nous a été possible de la réciprocité de bons sentimens que nous doit l’Italie ; nous nous étendrons de meilleur cœur sur les obligations que la mort de M. de Cavour nous crée envers elle. M. de Cavour mort, nous ne pouvons plus différer de reconnaître le royaume d’Italie. Tant que le génie du grand homme d’état présidait au gouvernement de la péninsule, on pouvait couvrir les temporisations de notre politique sous des prétextes qui disparaissent aujourd’hui. On pouvait dire d’une part qu’une marque si décisive du concours moral de la France n’était point indispensable à l’Italie, on pouvait affecter de craindre d’un autre côté que M. de Cavour, ou pressé par la concurrence de ses rivaux ou cédant aux inspirations de sa hardiesse naturelle, ne tirât parti de ce témoignage que la France lui aurait donné pour pousser plus avant ses desseins et ses entreprises. Après le lamentable événement qui vient d’affaiblir l’Italie, ni l’une ni l’autre excuse n’est valable. Non-seulement l’Italie est affaiblie par la mort de M. de Cavour, mais le refus que la France ferait de la reconnaître la plongerait dans une crise financière qui aurait infailliblement les conséquences politiques les plus déplorables. On sait que l’Italie a besoin, pour rétablir l’équilibre de ses finances, d’émettre un emprunt de 500 millions, absorbé d’avance en quelque sorte par un déficit de 320 millions. Le marché français est devenu le plus grand marché financier de l’Europe. Les valeurs piémontaises y sont acclimatées déjà depuis longtemps, et la rente piémontaise, aujourd’hui devenue la rente italienne, y a toujours été accueillie avec faveur. Refuser de reconnaître le royaume d’Italie, ce serait fermer le marché français au futur emprunt italien, ce serait frapper d’un coup funeste le crédit de l’Italie, ce serait exposer la péninsule à tous les désordres révolutionnaires, à tous les coups de désespoir qu’entraîne pour un état et pour un peuple la ruine des finances. Dans quel moment la France abandonnerait-elle l’Italie à ces périls ? Au moment où l’Italie est frappée d’un grand malheur, dans une occasion où les plus simples considérations de la justice et de la politique commandent à un allié de venir au secours d’un allié. Nous n’avons jamais, quant à nous, oublié les responsabilités que la France a contractées envers l’Italie. Nous les invoquions dès le lendemain de la paix de Villafranca pour qu’on laissât les duchés et la Romagne maîtres de se refuser à d’impossibles restaurations et de régler eux-mêmes leur propre sort. Nous les invoquons encore. Dans les événement qui ont changé depuis trois ans la condition de l’Italie, il y a eu deux grandes responsabilités engagées devant les contemporains et devant l’histoire, celle de M. de Cavour et celle du gouvernement français. Nous voulons bien que l’on mît au premier