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écrit deux preuves remarquables d’un esprit très différent de celui qui est généralement attribué au moyen âge : saint Odon ne veut pas qu’on administre fréquemment les sacremens ; il ne veut pas qu’on place les reliques des saints sur les autels consacrés à Dieu.

En lisant cette vie » on éprouve une impression ressentie toutes les fois que, laissant de côté les histoires classiques, on étudie dans les monumens contemporains les temps où les fils et alliés de Robert le Fort et les derniers carlovingiens portèrent alternativement le titre de roi. Le pouvoir n’existe plus, les nations disparaissent, les peuples se confondent. À tous les désordres intérieurs s’ajoutent les ravages des Normands, des Sarrasins, des Hongrois. Les villes sont brûlées, leurs habitans tués ou dispersés. Les moines fuient les monastères : ils mènent une vie sauvage et s’abandonnent à tous les déréglemens. Rome même, Rome, si longtemps un foyer de lumières, « tombe, comme le dit Arnoul d’Orléans, dans de monstrueuses ténèbres. » Néanmoins l’homme a grandi ; en perdant son passé barbare et son passé romain, il est devenu jeune. La mort sociale a rendu la liberté à l’individu, et des routes nouvelles s’ouvrent devant lui. Où trouver l’autorité ? Les peuples en sont avides. Ne croyez pas que la violence crée seule le pouvoir ; parfois l’héroïsme ou la sainteté donne la puissance. Si le mal finit par triompher, la vertu fait souvent obstacle à la violence et à la bassesse. Ce ne sont plus des demi-esclaves pleurant sur un passé à jamais détruit ; ce sont des hommes libres de leurs pensées, qui combattent pour la patrie non encore fondée, pour la justice méconnue et pour la religion oubliée : ainsi Eudes et Raoul parmi les princes, saint Odon, saint Gérauld et saint Mayeul parmi les abbés. Les bonnes fortunes du Xe siècle n’ayant pas moins que ses malheurs conduit plus tard aux usurpations, on a confondu la barbarie et la féodalité, l’anarchie qui a précédé et l’oppression qui a suivi ; on les a jugées l’une par l’autre, absolument comme si l’on jugeait la féodalité par l’ancien régime et 89 par l’empire, le morcellement par l’unité et la liberté par le despotisme. Il eût été plus conforme à l’esprit de l’histoire de penser que les excès de la féodalité avaient été produits par des excès opposés. Une oppression telle que l’oppression féodale ne pouvait avoir pour ancêtres que l’indépendance effrénée de la barbarie et l’anarchie, — non pas ce que nous appelons anarchie, — mais l’anarchie véritable, la destruction des lois, des nations et des mœurs.

Jamais les érudits n’ont commis l’erreur dans laquelle sont tombés la plupart des anciens historiens. Les, travaux des bénédictins et ceux de l’école des chartes, les préfaces de l’Histoire littéraire comme celle du Polyptique d’Irminon, témoignent que le Xe siècle fut un siècle de renaissance et d’anarchie et non un siècle de décadence et d’oppression. On ne pouvait manquer d’en trouver une preuve indirecte, mais saisissante, dans les Singularités historiques et littéraires de M. Hauréau.

Les quatre Vies qui suivent celle d’Odon de Cluny appartiennent au XIe et