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Depuis dix ans, les travaux de M. Berthelot ont prouvé que la synthèse peut s’appliquer avec succès à la formation artificielle des corps qui sont en quelque sorte les espèces les plus caractéristiques du monde organique. De quelle façon pouvons-nous donc reconstruire l’édifice abattu par la décomposition et l’analyse ? Commençons par les termes les plus simples, les carbures d’hydrogène. L’un de ces composés binaires appartient encore au monde minéral : c’est le gaz qui s’échappe des marais, au fond desquels des matières végétales se décomposent lentement. Contenu dans les anciennes forêts aujourd’hui converties en couches de houille, il produit, sous le nom de grisou, les dangereuses explosions des mines. Jusqu’ici, ce composé de carbone et d’hydrogène, comme un grand nombre d’autres carbures qui ne se trouvent pas isolés dans la nature, n’avait été obtenu dans les laboratoires que parmi les produits de la décomposition de corps organiques plus complexes. M. Berthelot en a reproduit un assez grand nombre artificiellement avec les seuls élémens de l’eau et de l’acide carbonique, corps qui appartiennent à la nature inorganique.

Le point de départ de la synthèse ainsi assuré, il restait à remonter des carbures d’hydrogène aux composés oxygénés, en renversant l’ordre habituel de la production de ces carbures mêmes. Ce second échelon nous mène aux alcools et aux nombreux corps qui en dérivent. On désigne sous le nom générique d’alcool tout composé ternaire de carbone, d’hydrogène et d’oxygène propre à s’unir à un acide en abandonnant de l’eau, et à former ainsi un composé ternaire neutre, nommé éther, qui ne ressemble pas aux sels ordinaires de la chimie minérale, parce qu’il n’obéit pas aux mêmes lois de décomposition. « Les allures spéciales des alcools et des éthers, dit avec raison M. Berthelot, ne permettent de les assimiler à aucune catégorie de composés minéraux : ils constituent un groupe distinct, et représentent, au même titre que les acides, les bases et les sels, une fonction chimique déterminée. Cette fonction est spéciale à la chimie organique. À ce point de vue, la synthèse des alcools au moyen des élémens est tout à fait indispensable, et elle est en même temps décisive. » Cette synthèse a été obtenue par M. Berthelot en partant des composés binaires ; les carbures d’hydrogène et les alcools une fois obtenus artificiellement, rien n’est plus facile que d’en extraire, par les ressources ordinaires, ce nombre presque infini de combinaisons qui en dérivent, et qui remplissent les vastes cadres de la chimie organique. Enfin le savant chimiste a été assez heureux pour obtenir la synthèse des corps gras composés, dont l’étude forme en quelque sorte une nouvelle chimie organique « plus vaste encore que celle des matières volatiles, infiniment plus délicate,