Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour cette raison Vrai Bleu Scott (True Blue Scott). Il fit fortune, car sa découverte donnait une nuance particulière aux robes et aux autres objets de toilette que recherche la coquetterie des femmes, Ayant reçu de la nature un certain tour d’imagination, Vrai Bleu Scott introduisit dans sa nouvelle salle toute sorte d’amusemens et de scènes curieuses, évitant toutefois avec grand soin d’entreprendre sur les privilèges du drame légitime. Sa fille, miss Scott, était l’actrice principale et écrivait des pièces qu’elle jouait elle-même, ce qui d’ailleurs ne l’empêchait point de danser sur la corde raide. Trouvant cette spéculation pour le moins aussi bonne que la fabrication des couleurs, Scott jeta tout à fait le masque dont il s’était couvert jusque-là et fit bâtir un véritable théâtre qu’il appela le Sans-Pareil ; plus tard cette même salle de spectacle devint le Strand, et enfin, vers 1821, l’Adelphi. Comme tous les autres théâtres de Londres, celui-ci passa par différentes mains, mais toujours avec un succès soutenu, qu’attestait le chiffre des recettes. Une foule de drames qui sont restés sur la scène anglaise ont vu le jour dans ses murs. le directeur de l’Adelphi Theatre est aujourd’hui M. Webster, qui en 1858, trouvant l’ancienne salle petite et incommode, en fit construire une autre sous le nom de New-Adelphi.

Comme plusieurs des managers placés à la tête des théâtres de Londres, Benjamin Webster est aussi acteur, et il est même un acteur de premier ordre. Il descend, dit-on, de l’aristocratique famille des Buches, qui avec le duc de Norfolk se retirèrent dans l’Yorkshire après la bataille de Bosworth. Ses premières études étaient dirigées vers la marine ; mais son caractère et ses inclinations le lancèrent bientôt sur la mer non moins orageuse du théâtre. Son début sur la scène n’annonçait pourtant guère ce qu’il deviendrait un jour. Il parut sous les habits d’Arlequin. De ce rôle à celui de Thessalus, dans Alexandre le Grand, qu’il remplit quelque temps après, le saut était considérable. Ayant réussi au-delà de tout espoir, il résolut de se consacrer au drame. Webster n’était toutefois alors qu’un acteur nomade, voyageant de ville en ville et jouant toute sorte de rôles sur toute sorte de théâtres. À ce rude métier, il acquit du moins de l’expérience et ce don que les Anglais désignent sous le nom de versatility, en vertu duquel un acteur s’assimile tous les caractères. Après une vie semée d’épisodes et d’aventures, après avoir parcouru l’Angleterre et l’Irlande, Benjamin Webster vint enfin chercher fortune à Londres. Partout il trouva la scène occupée par d’anciens acteurs qui ne se souciaient point de céder la place à un nouveau-venu, et qui ne lui laissaient que des emplois misérables. Le monde n’avait guère entendu parler de lui, quand en 1825 on joua Mesure pour mesure à Drury-Lane. Le rôle de Pompey, le clown,