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le rôle créé par Frederick Lemaître est rempli par M. Alfred Wigan, acteur de talent, directeur et homme de lettres qu’on aimerait mieux dans un caractère original où il jouirait de toute la liberté de l’invention dramatique. Au Princesses Theatre, nous reverrions Ruy Blas avec un acteur moitié anglais, moitié français, qu’on a vu à Paris, M. Fechter. Depuis le départ de Charles Kean, ce dernier théâtre lutte encore avec un certain courage pour soutenir le drame légitime. À l’Olympic Theatre et au Strand, sous la direction d’une femme, miss Swanborough, qui est en même temps une actrice distinguée, nous découvririons peut-être, à côté de farces extravagantes, les germes d’une sorte de drame domestique ayant du moins un caractère national. Miss Swanborough avait commencé par jouer à Londres sur les grands théâtres et dans les grands rôles ; mais, entraînée par son goût ou par celui du public des hauteurs du drame shakspearien vers un genre plus simple, elle se renferme aujourd’hui dans la comédie bourgeoise. Cette dernière forme plaît beaucoup aux Anglais, et le talent de l’actrice a régénéré le petit théâtre du Strand, tombé dernièrement très bas. Malheureusement miss Swanborough vient de se marier et menace d’abandonner la scène. À l’Olympic trône un grand comédien que je regretterais de passer sous silence, tant son nom se rattache, dans l’esprit des Anglais, au caractère même de leur théâtre. Frederick Robson commença par être apprenti chez un graveur sur cuivre. Avant même que son apprentissage fût terminé, il avait abandonné le burin pour graver, comme il le dit en riant, d’autres impressions sur le public des théâtres. Il aurait pu briller dans le genre tragique, car la nature l’a merveilleusement doué au point de vue de l’intelligence et de l’expression ; mais, ne se trouvant point la taille assez majestueuse pour les rôles nobles, il a inventé un genre intermédiaire où de hautes facultés dramatiques se combinent sans efforts avec les qualités d’un excellent acteur burlesque. Son jeu n’a jamais eu de modèle, et je plaindrais ceux qui voudraient l’imiter. Robson remplit en ce moment le principal rôle dans une pièce qui a du moins le mérite d’être anglaise, et que l’on peut considérer comme une tentative dans une voie nouvelle : le Coin de la Cheminée, the Chimney Corner, par M. Craven. C’est du reste Robson qui est la vie, la puissance, et en quelque sorte l’auteur de ce drame domestique. La manière dont il passe, par des transitions brusques ou graduées, de l’intensité de la passion la plus saisissante aux effets bouffons ou drolatiques, du rire aux larmes, de l’émotion poignante à la bonhomie du père de famille, la dignité vraie avec laquelle il relève à certains momens les détails et les misères triviales d’un intérieur bourgeois, l’étude profonde du cœur humain, sans oublier les ridicules, tout cela constitue un ensemble