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dramatique n’est pas aujourd’hui plus florissante, cela tient à la parcimonie avec laquelle les théâtres reconnaissent les services des auteurs. Les chiffres et les argumens ne manquent point pour appuyer cette thèse[1]. Selon l’opinion commune, les bons écrivains, n’étant point encouragés à travailler pour la scène, se tournent vers les publications périodiques et vers les livres. Ceux mêmes qui ont commencé par le théâtre abandonnent, dit-on, après une ou deux épreuves heureuses, le berceau de leur succès, humiliés qu’ils sont de se trouver placés vis-à-vis des acteurs et des actrices à un degré inférieur sur l’échelle des salaires. Dans cet état de choses, les directeurs de théâtres qui ne veulent ou ne peuvent offrir aux écrivains sérieux des conditions honorables sont obligés de se livrer eux-mêmes pieds et poings liés aux faiseurs, aux arrangeurs, et de recourir aux ressources que leur offrent les théâtres étrangers. « Que les théâtres de Londres, conclut-on, paient de meilleurs droits d’auteurs, et l’art dramatique ne tardera point à renaître. » Faut-il l’avouer ? cet argument, si fort qu’il soit, ne m’a point convaincu. Si les germes du talent dramatique existaient parmi les jeunes écrivains de l’Angleterre, ce ne sont nullement des considérations d’argent qui les empêcheraient de se produire. Le caractère de toutes les vocations fortes n’est-il point de se montrer désintéressé ? La plupart des grandes œuvres qui survivent au temps n’ont-elles point été conçues dans des circonstances qui excluaient non-seulement l’idée de la rémunération matérielle, mais encore celle du succès ? Étrange doctrine que celle qui voudrait substituer à l’impulsion de la nature, comme influence suprême dans les choses de l’esprit, l’amour-propre ou l’appât du gain ! Non, l’humanité n’en est point encore descendue là. Pour répondre victorieusement à cette erreur, je n’aurais d’ailleurs besoin que de citer des faits. En France, le théâtre se trouve situé vis-à-vis de la littérature dans 4es conditions très différentes, au point de vue matériel, de celles qu’il occupe en Angleterre. C’est la scène, chez nous, qui enrichit surtout les auteurs. Je ne vois pourtant point que l’art dramatique ait conquis de nos jours une gloire si enviable. Qui ne serait au contraire porté à croire que l’abondance des profits a exclu ou appauvri le talent en encourageant le métier ?

C’est dans un tout autre ordre d’idées que j’aimerais à chercher les

  1. La rétribution des meilleures pièces a rarement dépassé 1,000 Iiv. sterl. Il est bon de faire observer que les auteurs dramatiques ne sont point payés, comme en France, en proportion de la recette ; ils reçoivent à forfait et une fois pour toutes une somme qui est censée représenter la valeur de l’ouvrage. Cette somme est faible, si on la compare au salaire des grands acteurs, qui ont gagné quelquefois jusqu’à 50 Iiv. sterl. par soirée.