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source ? Ce n’est pas seulement parce que ces traités ont été, à un point de vue absolu, la violation immense, avouée, d’un droit imprescriptible, ou plutôt la consécration fatalement complaisante de toutes les violations antérieures. Une des causes les plus essentielles des troubles et des désordres de la politique contemporaine, une cause qui se révèle maintenant dans tout son jour, c’est la contradiction croissante entre les dispositions de l’acte solennel de Vienne et la situation réelle faite aux diverses parties de la Pologne, de telle façon que s’il y a eu, s’il y a encore des révolutionnaires en cette affaire, il faut en prendre son parti, ce ne sont pas les Polonais ; on leur a donné l’exemple, on leur a laissé cette triste ressource d’avoir pour eux la justice, même selon le droit de 1815 ! Chose curieuse en effet, la Pologne est le dernier peuple descendu aujourd’hui dans l’arène à cette parole vibrante de nationalité qui est le mot d’ordre de toutes les résurrections populaires, et cependant c’est le premier, le seul en faveur de qui le congrès de Vienne ait prononcé ce mot, et l’ait inscrit dans les traités, comme pour rendre un suprême hommage à une infortune héroïque, comme pour tempérer l’abandon par quelques garanties, et par l’illusion d’une nationalité idéale maintenue à travers les distributions de territoires.

Une chose plus curieuse encore, c’est une sorte de désaveu universel du partage de la Pologne au moment où on le faisait entrer dans le droit public nouveau. Le représentant du roi de France, M. de Talleyrand, l’appelait « le prélude des bouleversemens européens. » Parmi toutes les questions qui devaient être traitées au congrès, il considérait la question de Pologne « comme la première, la plus grande, la plus éminemment européenne, et comme hors de comparaison avec toute autre. » L’empereur Alexandre de Russie, soit par ambition, soit par vanité de prince libéral, sans doute aussi par un sentiment de générosité, aspirait au rôle de restaurateur de la Pologne ; cette restauration, il est vrai, s’offrait à son esprit sous la forme d’un royaume feudataire rattaché à la couronne de Russie ; c’était néanmoins encore l’intégrité polonaise. La Pologne était un remords pour l’Europe ; elle inspirait le respect sans avoir la force de se faire respecter bien effectivement. De là les combinaisons étranges adoptées par le congrès de Vienne, qui livrait les provinces polonaises à la Russie, à l’Autriche et à la Prusse, et qui en même temps multipliait les garanties protectrices, s’efforçait de maintenir un lien national entre les diverses parties de la Pologne en leur assurant une certaine autonomie, comme pour sauver l’avenir en livrant le présent.

Rien n’est plus curieux à un certain point de vue que cet ensemble