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c’est là ce qui apparaît dans cet ensemble des transactions de 1815, d’où est sortie toute une situation. On dirait que l’Europe, n’osant ou ne pouvant être juste jusqu’au bout, s’efforce à chaque pas d’adoucir par l’équité cette violation de l’existence indépendante d’un peuple, cherche, à renouer dans la pratique le lien national qu’un droit arbitraire vient briser, et qu’elle s’occupe moins de résoudre cette question des destinées de la Pologne, bien moins encore de la trancher par un acte d’autorité souveraine, que de la laisser en suspens en la livrant à l’avenir.

Et ce qui apparaît dans quelques articles inertes des traités reçoit une sorte de confirmation lumineuse et décisive des interprétations du temps, des commentaires des souverains eux-mêmes, des premiers actes accomplis sous l’impression chaude encore des événemens. Nul ne sait ce qui se passait dans l’esprit de l’empereur Alexandre, dans cet esprit à la fois caressant et impérieux, plein de velléités libérales et de mystérieuses inquiétudes, d’instincts généreux et de duplicités byzantines. Il entrait du moins dans son rôle de ne point reculer devant une initiative qui assurait sa popularité. « A la vérité, avait-il dit à lord Castlereagh, il ne s’agit pas en ce moment de rétablir la Pologne tout entière ; mais rien n’empêche que cela ne se fasse un jour, si l’Europe le désire. Aujourd’hui la chose serait prématurée. Ce pays a besoin d’être préparé à un aussi grand changement ; il ne peut l’être mieux que par l’érection en royaume d’une partie de son territoire à laquelle on donnerait des institutions propres à y faire germer et fructifier les principes de la civilisation, qui se répandraient ensuite dans la masse entière. » Et de fait il se mettait le premier à l’œuvre en donnant au nouveau royaume une charte, la constitution du 13 mai 1815, dont il résumait lui-même, le sens dans une proclamation aux Polonais : « Une constitution appropriée à vos besoins et à votre caractère, disait-il, l’usage de votre langue conservé dans les actes publics, les fonctions et les emplois accordés aux seuls Polonais, la liberté du commerce et de la navigation, les facilités des communications avec les parties de l’ancienne Pologne qui restent sous un autre pouvoir, votre armée nationale, tous les moyens garantis pour perfectionner vos lois, la libre circulation des lumières dans votre pays : tels sont les avantages dont vous jouirez sous notre domination et sous celle de nos successeurs, et que vous transmettrez comme un héritage patriotique à vos descendans… »

C’est là strictement, on le remarquera, l’économie des traités de 1815. Trois ans plus tard, en 1818, Alexandre tenait encore le même langage en ouvrant la première diète polonaise à Varsovie. « Votre restauration est définie par des traités solennels, disait-il.