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Elle est sanctionnée par la charte constitutionnelle. L’inviolabilité de ces engagemens extérieurs et de cette loi fondamentale assure désormais à la Pologne un rang honorable parmi les nations de l’Europe. » L’empereur Alexandre, au reste, mettait si peu en doute la garantie de l’Europe, qu’il se vantait de l’avoir enlevée, comme une victoire, au pas de charge. « J’ai fait ce royaume, disait-il, et je l’ai établi sur des bases très solides, car j’ai forcé les puissances de l’Europe à en garantir l’existence par des traités. » Le brillant autocrate avait eu même un instant la pensée d’aller plus loin, d’agrandir le nouveau royaume par l’annexion des anciennes provinces polonaises incorporées à la Russie, la Lithuanie, la Volhynie, l’Ukraine. Il s’en était réservé le droit dans son traité avec l’Autriche par ces propres paroles : « Sa majesté impériale se réserve de donner à cet état jouissant d’une administration distincte l’extension intérieure qu’elle jugera convenable. » C’était là ce qui avait gagné un moment le cœur du vieux Kosciusko à la politique d’Alexandre.

Le roi de Prusse, en laissant les grands projets et le rôle brillant au tsar, n’agissait point autrement que lui. Il tenait le même langage aux Polonais de Posen. « Vous aussi, leur disait-il, vous avez une patrie, et je vous estime pour avoir su la défendre. Vous serez mes sujets sans que vous ayez besoin pour cela de renier votre nationalité. Votre religion sera respectée ; vos droits personnels et vos propriétés passent sous la tutelle de lois qu’à l’avenir vous ferez vous-mêmes. Votre langue sera employée dans toutes les affaires publiques à côté de la langue allemande. Vous remplirez tous les emplois du grand-duché de Posen. Mon lieutenant, né parmi vous, résidera au milieu de vous. » La formule du serment imposé aux fonctionnaires était singulièrement significative ; elle était conçue en ces termes : « Je reconnais sa majesté le roi de Prusse comme l’unique souverain légitime de ce pays, et la partie de la Pologne qui, par suite du traité de Vienne, est échue à la maison royale de Prusse comme ma patrie, que je suis prêt à défendre contre qui que ce soit, en toute circonstance., et au prix de mon sang. » Et une telle interprétation s’est maintenue longtemps, puisqu’en 1841 le roi Frédéric-Guillaume IV s’engageait à « respecter chez les Polonais l’amour que toute noble nation a pour sa langue, son passé historique et ses usages. » Quant à l’empereur d’Autriche, en 1815, il ne faisait rien. Avec sa froide nature, l’empereur François raillait un peu les velléités remuantes et libérales d’Alexandre de Russie ; il s’en inquiétait pourtant un peu, et il finissait par dire : « Je ne suis pas aussi faux ; » ce qui ne changeait point d’ailleurs le sens des combinaisons de 1815. En rappelant ces faits, je n’ai point assurément l’idée