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a pris l’initiative en proposant un système qui fait le paysan immédiatement propriétaire et assure au possesseur actuel, par une ingénieuse combinaison de crédit, une indemnité que le paysan paie par annuités successives et limitées, sans avoir à donner plus qu’il ne donne aujourd’hui. C’est ce qu’on pourrait appeler la solution polonaise opposée à la solution russe. Et enfin, chose plus grave, cette sorte de régénération obscure a produit ce que nous avons vu, non plus des partis aigris par une défaite commune ou se disputant une victoire lointaine, mais une masse compacte, une nation confondue dans une même pensée, sans distinction de classes, et dont l’union a été scellée dans le sang le 27 février, le jour où se sont accomplies les premières répressions de la Russie. Ces intelligentes balles russes faisaient plus qu’elles ne le pensaient pour cimenter l’alliance en allant frapper des victimes de tout rang, de toute condition, de tout culte et même de tout âge.

Un homme, je le disais, personnifie dans ce qu’il a de sérieux et de pratique ce mouvement et lui a imprimé son caractère : c’est le comte André Zamoyski, que le peuple dans son langage appelle simplement monsieur André. Il n’est pas le seul, mais il a été dès les premiers temps un des plus actifs promoteurs de tout ce qui pouvait servir à réveiller le pays. Par sa naissance, il tient à une des plus vieilles familles polonaises, à la famille de ce grand connétable, Jean Zamoyski, du XVIe siècle, qui travailla à constituer la petite noblesse en face de l’oligarchie aristocratique, et qui fut un des plus illustres capitaines de la Pologne. C’est une famille qui s’est éclipsée pendant longtemps et qui ne reparaît qu’à certaines époques. Un autre Zamoyski était encore grand-chancelier en 1772, et se démit de sa charge pour ne pas mettre le sceau sur le premier partage. Le comte André est un petit-fils de ce Zamoyski, le frère du général qui un instant dut prendre le commandement d’une légion polonaise à l’époque de la guerre d’Orient. Le comte André se trouvait naturellement engagé dans la révolution de 1831. Il fut d’abord ministre de l’intérieur à Varsovie, puis envoyé en mission à Vienne auprès de M. de Metternich, qui inclinait, dit-on, à une intervention au moment de la dernière bataille. La révolution une fois vaincue par les Russes, il ne voulut pas quitter le pays ; il y restait dans l’obscurité, sans illusions, mais cherchant bientôt comment on pourrait se relever de la grande défaite. Une large carrière ne lui était point ouverte ; il se tournait vers les intérêts matériels, et il se mit à l’œuvre avec une activité singulière, quoique resserrée dans d’étroites et obscures conditions. Il établissait des haras, il aidait à créer la navigation à vapeur sur la Vistule, qui était un moyen de se relier à la Galicie ; il travaillait à organiser le crédit foncier. C’est lui qui fondait