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que de mauvais desseins pouvaient s’agiter contre l’Italie. L’accueil de la population fut plus que froid, et ce qu’il y a de curieux, c’est que sous l’impression de cette désagréable aventure c’était à qui se renverrait l’ennui de ce qui venait d’arriver. Les journaux russes assuraient que c’était l’empereur d’Autriche qui avait valu à l’empereur Alexandre cette froide réception, tandis que la presse de Vienne prouvait non moins clairement que la démonstration était dirigée contre l’empereur de Russie. Quelques mois encore et survenait une manifestation plus sérieuse : c’était un service commémoratif pour les morts de la bataille de Grochow, de cette bataille où l’armée polonaise lutta pendant trois jours contre les Russes en 1831, et c’est réellement ce jour-là, le 25 février, qu’une Pologne nouvelle apparaît personnifiée dans une population marchant dans les rues le cierge à la main, électrisée à la vue d’un drapeau à l’aigle blanche et récitant d’une seule voix le chant religieux et national : « Dieu saint, Dieu puissant, Dieu immortel, ayez pitié de nous ! — De la peste, du feu et de la guerre, seigneur, délivrez-nous !… — Daignez nous rendre notre patrie !… — Sainte vierge Marie, reine de Pologne, priez pour nous ! » Alors la crise se déclare, l’agitation s’étend avec des alternatives de concessions de la part de la Russie et de scènes sanglantes jusqu’au 8 avril, jour où la compression l’emporte définitivement. Ce n’est pas la suite de ces événemens que j’ai à décrire. Tout porte la marque de ces influences diverses que je signalais. Ce mouvement, on le voit, commence par des services religieux. Quand la crise a éclaté, quel est le genre d’action de tous ceux qui ont quelque pouvoir sur le peuple et qui sentent la gravité du moment ? Une délégation populaire, autorisée par le lieutenant-gouverneur, prend la direction de la ville. Des constables volontaires s’organisent pour empêcher tout désordre ; la Société agricole elle-même intervient en modératrice, en gardienne de la paix. Les adresses qui sont envoyées à l’empereur ne contiennent rien que de légal, puisqu’elles demandent à peine strictement ce que les traités de 1815 assurent à la Pologne. Et la population elle-même, quelle est son attitude ? Elle fait acte de vie, si l’on me passe ce terme, en se refusant à tout conflit. Elle se rassemble, pour exprimer ses vœux, ses griefs, mais désarmée, passive, et même, quand elle est dispersée par la force, femmes, enfans, vieillards se pressent en larmes et en prières autour d’une madone. Étrange révélation de la nature de ce mouvement dont toute la tactique est de résister sans s’armer ! Ce qui fait au fond son originalité, c’est cette alliance, dont je parlais, du sens pratique et d’une idée morale, religieuse, même mystique, — alliance dont le secret est dans la conscience d’une population et qui répond merveilleusement