Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tous les instincts du peuple polonais et même de la race slave en général, qui parle aux esprits politiques par ce qu’elle donne à la modération et au bon sens, et qui offre en même temps à la jeunesse, aux masses, l’attrait d’un certain mysticisme poétique. C’est l’originalité de ce mouvement, dis-je, c’est aussi ce qui fait sa force en révélant des sources toujours nouvelles de vitalité dans cette race, qui ne trouve dans le malheur que des aiguillons généreux.

C’est aussi justement ce qui crée pour la Russie une position exceptionnellement difficile en face d’un de ces réveils populaires qui ne sont plus seulement un simple débat intérieur, mais qui se lient par toutes les considérations de droit et d’humanité à toute une situation européenne et même à une crise particulière du temps. On dit qu’après les premières scènes sanglantes du mois de février à Varsovie, l’empereur Alexandre II, informé qu’il y avait des victimes dans le peuple, fit aussitôt demander combien il y avait de morts dans l’armée, combien on avait pris d’armes aux insurgés. On lui répondit que l’armée ne comptait point de morts, qu’on n’avait pu prendre d’armes à une population qui n’en avait pas et qui n’en voulait pas. L’empereur fut, dit-on, plein de surprise. C’est cet étonnement du premier instant qui explique les incertitudes de la Russie, ses hésitations de conduite. Elle semble d’abord en effet flotter entre toutes les politiques. Elle livre quelques-uns de ses fonctionnaires chargés par l’animadversion publique, et elle réprime par malentendu, si l’on me passe le terme ; elle fait des concessions, elle trace un programme d’organisation nouvelle, elle promet des réformes, elle accepte pour auxiliaires une délégation populaire, la Société agricole elle-même, et bientôt société et délégation sont dissoutes ; elle laisse pendant tout un mois l’agitation grandir par l’indécision jusqu’aux scènes du 8 avril, point de départ d’une politique qui semble se fixer de nouveau dans la compression. La Russie peut matériellement, sans nul doute, réprimer et disperser les manifestations à Varsovie ; elle peut empêcher la population de porter le deuil de ses morts. Après cela, la question, par sa nature toute morale, en sera-t-elle moins grave, moins vivante, moins palpitante, et, le dirai-je ? moins oppressive pour la politique russe elle-même ? Au fond, la Russie se trouve aujourd’hui placée dans une étrange et sérieuse alternative ; elle a un choix à faire. Elle peut recommencer dans le royaume de Pologne sa politique de trente ans, se rattacher plus que jamais aux systèmes à outrance. C’est peut-être l’intérêt de l’Autriche et de la Prusse, toujours inquiètes de voir renaître dans le royaume, par des concessions libérales, un foyer d’attraction pour les autres parties de la Pologne qu’elles possèdent