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récit d’une excursion à Djerash et à Palmyre peut donc encore offrir quelque attrait de nouveauté. J’espère d’ailleurs que le public s’intéressera, sinon à mes descriptions, du moins à quelques-uns des voyageurs eux-mêmes. Notre caravane avait pour chefs deux illustres exilés. L’un, souffrant de l’inaction à laquelle il est condamné, cherchait dans un voyage en Orient l’occasion d’exercer son activité, de connaître les hommes, d’étudier la politique française dans des contrées qui verront éclater bientôt de grands événemens ; l’autre, après avoir fait à dix-huit ans la campagne d’Italie dans les rangs de nos alliés, à côté de nos glorieux soldats, avait rejoint son frère quand Solferino eut mis fin à la mission de l’armée française.

Le 27 novembre 1859, nous nous embarquâmes à Trieste pour Alexandrie. On connaît peut-être la réception que le vice-roi fit à nos princes. Une grande et généreuse hospitalité fut offerte par Saïd-Pacha aux petits-fils du souverain auquel la famille de Méhémet-Ali doit l’hérédité de son trône. Après un séjour de quatre mois en Égypte, nous allâmes à Jérusalem pour assister aux cérémonies de la semaine sainte. C’est de là que j’ose prier le lecteur de me suivre, d’abord vers Djerash, puis à Palmyre.


I

Nous étions à Jérusalem lorsque les deux princes, dans l’intention de sortir du chemin battu des touristes et des pèlerins, résolurent de préparer une excursion jusqu’aux ruines de Djerash. Ce pays est occupé par une fraction de la tribu des Adouans, qui obéit au cheikh Abd-er-Rhazy. Antonio, notre drogman, afin de donner entrée sur ce territoire aux voyageurs qu’il conduit, s’était uni par les liens de la fraternité arabe avec un méchant, mais brave Bédouin fort redouté, du nom d’Habib, le fidèle Achate d’Abd-er-Rhazy. Il n’est pas difficile de se donner ainsi un frère parmi les nomades. On fait présent d’un sabre, d’un manteau ou d’une paire de bottes à l’homme qu’on a choisi ; on frappe son front contre sa tête, on lui touche la barbe et la main par-devant témoins en invoquant le ciel, et l’on a un protecteur aux yeux de la tribu ; on ne court plus le danger du pillage sur la terre qu’elle occupe, mais il est d’une sage politique d’entretenir les bons sentimens de son frère par des présens continuels d’armes ou de vêtemens.

Antonio envoya donc chercher à Djerash le cheikh Abd-er-Rhazy. Le chef de la police turque ayant été prévenu, le cheikh put entrer dans Jérusalem et coucher sous notre toit. Le prix fut discuté, le contrat conclu ; nous devions quitter Jérusalem le 16 avril 1860, et atteindre Djerash en passant par la Mer-Morte, Es-Salt et Hamnan, lorsque le pacha fit appeler Antonio. « La route n’est pas sûre, lui