Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alla trouver le cheikh Yousef, réunit les fellahs tout tremblans, et d’un ton bien solennel ramassa un brin d’Herbe. « Si un objet de la valeur même de ce brin d’herbe, s’écria-t-il, disparaît cette nuit du camp, des Français, je jure par le Créateur de brûler votre village. » Tous nos hommes dormirent tranquilles, et aucun vol ne fut commis. On voit que notre hôte faisait bonne police autour de nous.

On est en sécurité chez les Arabes dès qu’on leur paie tribut, et qu’on règle d’avance avec eux, par un contrat, les conditions de son séjour sur leur territoire. J’ai entendu des voyageurs, révoltés par le mot tribut, s’écrier qu’on devrait mettre à la raison ces barbares qui rançonnent les caravanes ; mais, pour entrer dans les pays les mieux policés, et même pour en sortir, ne doit-on pas acheter à beaux deniers comptans un passeport et le visa des ambassades ? Ne trouve-t-on pas des douanes aux frontières ? Dans une ville bien administrée, comme Paris ou Londres, qu’un adroit filou vous enlève votre montre, la police s’empressera de le poursuivre ; mais vous rendra-t-on l’objet volé ? Oui, si par hasard on le rencontre, et si on ne le retrouve pas, vous en restituera-t-on la valeur ? Jamais. Voici à quoi notre ami Abd-er-Rhazy s’est engagé : il nous défendra, par son sabre et sa lance, contre tout ennemi ; il nous rendra tout objet dérobé, ou sa valeur. Nous sommes donc reçus par lui en quelque sorte au péril de sa personne et de sa bourse, car il s’expose à la fois à porter la peine des méfaits de ses hommes et à résister à l’attaque de ses voisins, les Anezé ou les Beni-Sacher, qui peuvent profiter de la présence d’une riche caravane d’Européens pour tenter, à nos dépens et aux siens, un coup de main sur son territoire. Et nous avons pour garantie de l’exécution du traité la fidélité habituelle de l’Arabe à sa parole, sa finesse bien connue pour distinguer ses vrais intérêts : s’il nous arrive malheur, quels voyageurs voudront suivre nos traces ? Or point de voyageurs, point de tribut, et Abd-er-Rhazy ne fera pas tarir inconsidérément cette source de revenus. Un incident qui survint une des nuits suivantes nous confirma dans cette bonne opinion sur notre hôte : un âne et une paire de souliers ayant été dérobés à un de nos muletiers, 600 piastres d’indemnité lui furent versées incontinent.

Nous marchions depuis deux jours. Le matin du troisième, nous arrivâmes au terme de notre expédition, aux ruines de Djerash. Ces ruines sont peu distantes de Suf. Du haut de la colline d’où je les aperçus pour la première fois, je ne vis qu’une ligne de colonnades, et çà et là quelques amas de décombres. « Ces ruines sont peu de chose, » pensai-je. Je fus bientôt détrompé. Il n’entre pas dans mon intention de décrire minutieusement tous les monumens que je visitai, une telle œuvre serait fastidieuse pour le lecteur ; mais voici