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qui régnait autour d’elles ajoutaient encore de la vie au tableau. Les ruines se détachaient sur la verdure par les tons chauds et, dorés dont le soleil les avait revêtues : elles me parurent plus belles encore quand je les vis sous mes pieds dans leur ensemble. Nous n’avions pas encore visité de ruines romaines en Orient, et au fond d’une province lointaine, abandonnée, presque inconnue à l’Europe, nous trouvions les restes d’une ville entière, d’une importante colonie de Rome. Cette vue était de nature à inspirer une admiration respectueuse pour le peuple auquel Djerash dut sa splendeur. Puissante colonisation que celle qui laisse après tant de siècles des vestiges aussi grandioses ! On peut se demander ce qui restera un jour des fragiles établissemens que les colons modernes bâtissent sur des côtes éloignées. Commerçans avant d’être soldats, ce qu’ils recherchent, ce n’est pas la gloire, mais le gain. Les uns se rendent maîtres d’un vaste empire afin d’y récolter une plante nécessaire à l’industrie ; d’autres s’ouvrent des ports à coups de canon afin de se créer des débouchés. Aussi les monumens qui attestent leur domination sont des hangars à marchandises et des manufactures. Les Romains au contraire, conquérans par excellence, ne fondèrent tant de colonies que pour incorporer les peuples à leur empire. Rome se transportait pour ainsi dire tout entière dans chacune, et en même temps qu’elle domptait ses sujets, elle étonnait leur imagination et consacrait sa puissance par des monumens.

Je dois avouer cependant que, malgré la beauté du spectacle, l’âme éprouve un vide, car on ignore l’histoire des hommes qui élevèrent ces monumens. La légende de la fondation de Djerash et le drame de sa fin ne sont pas arrivés jusqu’à nous. Les rares documens que nous possédons sur cette ville ont été habilement résumés dans le Guide en Syrie de Murray. Je me bornerai donc à le citer. « Pour la première fois, lit-on dans cet ouvrage, Djerash, en latin Gerasa, est mentionnée par Josèphe. Il raconte qu’Alexandre Jannœus, roi des ! Juifs, ayant réduit Pella, forteresse située près du Jourdain, marcha sur Gerasa. Cela prouve que cette cité ne doit pas son origine aux Romains. le nom de Gerasa est prononcé, mais sans aucun détail, par Ptolémée, Strabon, Pline et d’autres écrivains grecs et latins. Après la conquête des Romains, cette contrée devint une de leurs colonies favorites. Dix villes s’y élevèrent ou furent rebâties, et le district qui les environnait fut nommé la Décapole. Gerasa devint une des-plus importantes, avec Damas, Bostra et Philadelphie, Les Juifs la brûlèrent au commencement de leur dernière guerre contre les empereurs pour venger le massacre de leurs compatriotes à Césarée. Elle s’était à peine relevée de ce désastre que sa population se révolta contre la domination impériale. Vespasien envoya contre