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l’heure la plus chaude du jour, heure de repos pour les hommes et les animaux. Des enfans seuls, tout nus, les cheveux hérissés, couraient comme des lutins, tourmentant les chameaux, battant les chèvres et s’enfuyant quand une mère de famille indignée apparaissait un bâton à la main. Cependant le serviteur de Mohammed brûla le café, le broya en une poussière fine sur laquelle il versa de l’eau chaude, nous l’offrit bouillant sans sucre avec le marc ; puis un grand plat de beurre et de dattes pétries circula dans l’assemblée. Chacun y mit la main droite. La foule des curieux ne nous quittait pas des yeux. Comme les tentes sont toujours ouvertes, on n’a rien de caché pour ses voisins. La vie des cheikhs se passe coram populo. Je fus frappé de voir combien, dans cette réunion de Bédouins, l’expression du respect s’alliait à un certain air de grandeur. Ce n’est plus notre Abd-er-Rhazy de Djerash usant de la menace et de la colère pour délivrer ses hôtes des curieux et des importuns. Nos cheikhs d’un mot se faisaient obéir. Sur un signe, le premier rang recule pour dégager la tente ; sur un autre signe, une centaine d’entre eux se retirent pour se préparer à partir avec nous. Nous ne sommes plus, il est vrai, chez la peuplade petite et pauvre des Adouans, mais dans un camp de Se-bah, appartenant à l’importante tribu des Anezé, et la dignité chez ces hommes va de pair avec le sentiment de la force.

L’heure de se remettre en route était enfin venue. Le camp retentissait de beuglemens, et cent cinquante dromadaires accroupis se relevaient, montés chacun par un Bédouin. Le désordre des rangs, la masse des dromadaires augmentant en apparence le nombre de la troupe, notre caravane, entourée de lances et de fusils, offrait l’aspect d’une grosse tribu qui se déplace avec armes et bagages. Au lieu de cent hommes d’escorte, nous en avions cent cinquante, parce qu’un parti de Shoumar, nomades de Mésopotamie, ennemis des Anezé, venait d’enlever, par un heureux coup de main, une troupe de chameaux. Cinquante hommes devaient nous quitter à Palmyre poursuivre les agresseurs sur les bords de l’Euphrate.

On remarquait parmi nos Arabes des distinctions de rang qu’indiquaient le nombre des montures et le costume. Les principaux étaient suivis d’un cheval attaché par Une longe derrière leur dromadaire, et l’on reconnaissait de loin les cheikhs à leurs couffiehs brunes et dorées, à leurs robes et à leurs ceintures de soie où dominaient les couleurs rouge, verte et blanche. Les nuances de leur habillement se fondaient harmonieusement avec les parures de leur selle, d’où pendait de chaque côté un sac en canevas serré, nommé aidé, entouré d’une frange de glands de mille couleurs. C’est dans ce sac que le Bédouin porte sa nourriture et ses effets de voyage.

Le personnage le plus animé de la caravane était sans contredit le serviteur de Mighuel, Ali, chargé par son maître de veiller sur un