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avant son mariage, est devenu, par ses vingt-cinq mille livres de rente, presque l’égal de son frère Mohammed.

Encore quelques mots sur la constitution de la tribu amie à laquelle appartiennent nos guides. Anezé, le père de la tribu, si l’on en croit la fable arabe, eut la bonne fortune de découvrir la lailet el kadi, ou « nuit de la puissance, » où Allah exauce tous les vœux des croyans ; il le supplia de lui donner une postérité aussi nombreuse, selon l’hyperbole inévitable, que les étoiles du firmament, et autant de chameaux qu’il y a de grains de sable au désert. Les enfans d’Anezé réunis forment la plus grande tribu arabe qui existe. Répandue entre la Syrie, l’Euphrate et le Nedj, dont elle est originaire, elle peut mettre sur pied, pour se défendre, quatre-vingt-dix mille hommes. montés sur des dromadaires et dix miile autres cavaliers. À première vue, on prête une grande puissance à ce peuple de guerriers pauvres, sobres, habitués aux fatigues et aux combats ; mais leur union, consacrée seulement par un lien de race, n’est pas assez forte pour les garantir contre les divisions intérieures. Avec l’accroissement de la tribu vinrent les discordes, que l’autorité du chef de famille ne suffit plus à contenir. Aujourd’hui les Anezé obéissent nominalement à un prince qui a reçu ses droits, à travers les âges, du fondateur de la tribu ; mais dans la grande tribu, subdivisée à l’infini, chaque fraction a ses cheikhs, ses amitiés, ses haines, ses guerres, et il ne faudrait rien moins que le péril commun de l’indépendance et de la religion, menacées par une nation européenne, pour unir tous ces Arabes sous la main d’un chef suprême.

Nous causions sur tous ces sujets avec Mighuel par l’entremise d’Élie, notre drogman, qui parfois mêlait à la conversation des détails pittoresques : « Oh ! messieurs, il est très riche, le prince des Anezé, sa tente est longue comme d’ici là-bas ! » Et il montrait du doigt une colline éloignée d’un kilomètre environ. Cette comparaison est exagérée, mais n’en prouve pas moins que le signe de la richesse chez les nomades est la longueur de la tente, qui peut alors abriter beaucoup de femmes, d’enfans et de serviteurs.

À la tombée de la nuit, nous atteignîmes un camp d’Arabes où nous trouvâmes l’eau et l’hospitalité. Les puits marquent naturellement les étapes au désert. Lorsqu’une tribu voyage, elle marche de puits en puits. La durée de l’eau est la mesure du séjour ; l’eau tarit, le camp se lève, on va chercher un point du désert plus hospitalier ; reparaît-elle, d’autres tentes se dressent bientôt près des puits. Lorsque le lieu est déjà occupé par un campement y les nouveau-venus ont le droit de camper aussi et d’abreuver leurs troupeaux, mais pour une nuit seulement.

Les Arabes se contentent d’une eau bourbeuse et amère, et vous offrent, le plus naturellement du monde, comme une liqueur de