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pierre. On y plaçait les sarcophages les uns au-dessus des autres. Les couloirs où l’on glissait le défunt embaumé et enfermé dans la pierre sont visibles encore.

Au sortir du défilé, un steppe nouveau et les ruines de Palmyre se présentèrent tout à coup. Ce n’était plus une plaine de terre grisâtre, verte çà et là, comme celle d’où nous sortions, mais une mer de sable jaune, un désert africain s’étendant à perte de vue. À notre droite, un gros ruisseau s’élançait de la montagne, traversait quelques rares jardins remplis de grenadiers et de palmiers, puis allait se perdre dans un lac de sel qui brillait à distance comme une plaque d’argent ; à quelques pas de nous s’élevaient les restes d’innombrables colonnades auxquelles le soleil donnait une couleur ardente. Les unes bordaient les rues, les autres le parvis des temples, d’autres encore s’élevaient solitaires, monumens consacrés sans doute, comme la colonne de Pompée sur le rivage de l’Égypte, à perpétuer la gloire de quelque grand homme. Le gigantesque temple du soleil domine l’ensemble de cette immense destruction. On ne peut voir sans stupéfaction cette ville morte qui émerge du milieu des sables.

Nous passâmes le ruisseau à gué ; nos chevaux, malgré la soif qui les dévorait, ne voulurent boire que très peu, car l’eau en est tiède et sulfureuse. Nous avions hâte d’étendre nos tapis sur la terre d’un jardin ; nous étions harassés de fatigue. En arrivant, plusieurs muletiers tombèrent malades de lassitude et de chaleur. Peu s’en fallut qu’il n’en fût de même de trois d’entre nous. Dans ces expéditions, où le manque d’eau et la crainte de l’attaque d’une tribu ennemie défendent de s’arrêter en route, des accidens de ce genre causent de bien vives inquiétudes ; mais l’énergie de notre chef soutenait toujours dans les heures de découragement la caravane abattue. Malgré la souffrance universelle, le camp fut assis avec le même ordre que les jours précédens. Chacun fit son devoir.

Notre courage de voyageurs avait été déjà mis à l’épreuve avant le départ pour Palmyre. En arrivant à Homs, plusieurs de nos compagnons souffraient de la fièvre et de la dyssenterie, résultat de la fatigue et de la mauvaise nourriture. La guerre était allumée dans le Liban. À Baalbek, l’assassinat d’un chrétien à quelques pas de nous en avait été l’un des préludes[1]. Si la lutte s’étendait au nord vers Tripoli, elle pouvait nous fermer le passage jusqu’à la mer ; mais le chef de la caravane, malade lui-même, avait résolu de remplir son programme de voyage malgré ces obstacles, et nous avait entraînés dans le désert. Son frère se distinguait dans nos difficultés par son aimable entrain, son inaltérable gaieté, semblable en ce

  1. On a pu lire dans le Journal des Débats du 24 juillet 1860 un exact récit du douloureux événement de Baalbek. Ce récit, où respirent une émotion généreuse et tant de sentimens français et libéraux, a été écrit par l’aîné des princes.