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sacrifié à cet éclectisme par une comédie qui n’a pas eu un heureux sort. Tout récemment cependant il a fait une tentative qui est restée infructueuse. le champion le plus résolu de l’école, le disciple le plus dévoué du maître, M. Vacquerie, est venu livrer, à la Porte-Saint-Martin, une bataille qui n’a pas été sans éclat, avec une intrépidité et un parti-pris systématique qui honorent son caractère et son talent plus que sa clairvoyance. M. Vacquerie représente bien le puritain du romantisme ; ce n’est pas lui qui fera jamais de concession, comme ces indifférens Gallios, sans foi résolue, que l’on a vus flottans, selon le cours des événemens, entre plusieurs religions littéraires, et qui ont laissé amortir leur ardeur au point d’applaudir à la restauration de la tragédie détestée et de pactiser avec la race impie et prédestinée des bourgeois. Ce puritanisme si honorable a porté malheur à son drame les Funérailles de l’Honneur, qui se recommande par des qualités sérieuses, et où brillent ça et là des beautés réelles. Ce drame méritait d’être écouté avec plus d’attention qu’il ne l’a été, et je crois que M. Vacquerie aurait obtenu sans peine cette attention, si par avance il s’était mieux rendu compte des dispositions bonnes et mauvaises du public. L’atmosphère morale a singulièrement changé depuis le jour où Hernani mit en fuite, au bruit de son cor espagnol, les milices de la tragédie. De 1830 à 1840, ce drame aurait eu tout le succès qu’il méritait d’avoir ; on n’aurait aperçu que ses beautés, et on aurait été aveugle pour ses défauts. Aujourd’hui le public n’a vu que ses défauts. Ce drame tombant sur notre théâtre contemporain, au milieu de nos préoccupations, a eu le sort de ce chevalier croisé qui, revenant trente ans après son départ à la porte de son château, ne fut pas reconnu par les siens, et fut traité comme un mendiant et un imposteur. L’atmosphère morale et littéraire a changé, voilà tout le secret de l’insuccès de M. Vacquerie. L’auteur s’est trompé d’époque. Cela une fois bien constaté, disons qu’on a été injuste envers le drame et envers l’auteur. Nous connaissions les œuvres précédentes de M. Vacquerie, et nous redoutions pour le nouveau drame ces affectations d’excentricités et ce pastiche maladroit du style de Victor Hugo dans lesquels l’auteur semblait se complaire et ne vouloir jamais sortir. Nous nous trompions, et ceux qui lui ont reproché les excentricités de langage de son drame ont laissé influencer, je le crains, leur jugement par leurs souvenirs ; ils n’ont pas assez écouté le drame nouveau et se sont trop rappelé Tragaldabas et le fameux volume des Demi-teintes. Je me suis donné la peine de compter les expressions baroques ou monstrueuses qui se rencontrent dans le drame, et je n’en ai pas trouvé plus d’une dizaine, et encore de ces expressions une seule nous a-t-elle rappelé pleinement le Vacquerie d’autrefois : Moi, fils ténébreux de pères flamboyans. L’accusation de pastiche est mieux fondée, mais elle a été fort exagérée aussi. Sans doute la coupe hachée des phrases, les expressions antithétiques, la disposition des scènes et, si l’on peut parler ainsi, l’aménagement entier du drame rappellent trop le théâtre de M. Hugo, sans doute don Jorge est proche parent d’Hernani et de Ruy-Gomez, et le spadassin Zorzo du fameux Saltabadil du Roi s’amuse ; mais ce n’est là que le corps et l’enveloppe du drame. L’âme de la pièce n’a pas été empruntée à M. Hugo, mais à Shakspeare, à Calderon et à Corneille. Telle qu’elle est, elle m’a touché pour des raisons qu’apprécieront tous les dilettanti, car elle trahit un commerce