Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connue sous le nom de muridisme. Auparavant, la rivalité du dogme orthodoxe ou sunnite, professé par les Osmanlis, et de l’hérésie schyyte, à laquelle les Persans ont adhéré, divisait aussi les montagnards. Les Tchetchenses, convertis par les Turks et les Tartares du voisinage, étaient pour la plupart sunnites, tandis que les peuples du Daghestan avaient été en très grande partie entraînés, par leur proximité de la Perse, vers les doctrines de ce dernier pays. Le muridisme était destiné à rallier ces dissidences dans une vaste et forte unité.

L’islamisme, tel que son fondateur l’a conçu et l’a enseigné, est une doctrine réaliste et pratique, réfractaire aux spéculations métaphysiques comme aux entraînemens du mysticisme et aux caprices de l’allégorie. Mahomet, témoin de l’ascétisme contemplatif des moines chrétiens de l’Orient, l’avait proscrit, dès le commencement de sa carrière, par une négation absolue, exprimée par la parole suivante, qu’a consacrée la tradition écrite (hadits) : « Pas de monachisme dans l’islam » (la réhbaniê fi’l islâm) ! Néanmoins, comme toutes les religions, celle de Mahomet a été pénétrée dans la suite des âges par différens courans d’idées ; elle a été livrée aux interprétations les plus diverses, les plus opposées, suivant le caractère des nations qui l’ont adoptée. Malgré la défense formelle du prophète, elle s’est laissé dominer par le penchant à la rêverie vague et abstraite qui est dans la nature des Orientaux, et par ces tendances spéculatives qui représentent la réaction du génie de la race aryenne contre le génie sémitique. Ce penchant, qui dès la plus haute antiquité nous apparaît comme ayant son foyer dans l’Inde et la Perse, et qui tenta d’envahir le christianisme par le gnosticisme et le système dualiste de Manès, s’est fait jour aussi dans la doctrine du Koran ; il a créé cette sorte d’islamisme mystique qui, suivant les lieux et les temps, a revêtu les formes que nous lui voyons chez les soufis, les ismaéliens ou assassins, les Druses, etc. En même temps les ordres religieux (derviches) naquirent et se multiplièrent parmi les nations musulmanes autres que celles d’origine arabe.

Le muridisme procède du même mouvement d’idées. Il se fonde, il est vrai, comme l’islamisme pur, sur la révélation contenue dans le Koran ; sa profession de foi est la même que celle des orthodoxes : il n’y a de Dieu qu’Allah, et Mahomet est son prophète ; mais il distingue dans l’explication du texte sacré deux sens, l’un littéral, l’autre allégorique ; deux doctrines, l’une exotérique, pour le commun des fidèles, l’autre ésotérique, pour ceux qui aspirent à une