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suffisamment. Il dit qu’il était d’une vivacité et d’une pétulance extrêmes, mais qui n’avaient rien d’agressif et d’importun, et qu’il concentrait tout entières sur lui-même. Son ami Gazy-Mollah était au contraire sérieux et taciturne. Remplissant les fonctions de kadhi à Akouscha, il passait à juste titre pour un des hommes les plus savans : il possédait à fond la science du Koran et la connaissance de la langue arabe. Schamyl se mit en premier lieu sous sa discipline, et il dit aujourd’hui que c’est le maître duquel il a le plus appris ; ensuite il étudia, et toujours avec ardeur, sous les oulémas du Daghestan les plus en renom pour leur savoir théologique et leur piété, jusqu’à l’âge de trente-trois ans, époque où il sortit de sa retraite pour aller rejoindre les drapeaux de Gazy-Mollah, qui avait pris l’initiative de la guerre sainte.

Les exercices gymnastiques et l’escrime occupaient, avec la prière et l’étude, tous ses instans. Il était sans rival pour le maniement du sabre et du poignard. Sauter au-dessus d’une corde-que deux hommes tenaient de leurs mains tendues en l’air, franchir des fossés de douze archines (8 mètres et demi) de large, ce n’était qu’un jeu pour lui. Nul ne pouvait lui résister à la lutte corps à corps ou l’atteindre à la course. Pour fortifier sa constitution, il s’exposait à toutes les intempéries des saisons, nu-pieds, la poitrine découverte. C’est là peut-être la cause, fait observer M. Rounovskii, pour laquelle l’imâm, plus que sexagénaire, ne ressent en rien dans ses anciennes blessures l’action des vicissitudes atmosphériques, ordinairement si douloureuses pour ceux qui portent sur leur corps les honorables cicatrices des combats, à moins qu’il ne faille attribuer cette cause à la méthode curative employée par les montagnards.

Sa quinzième année était à peine révolue, il n’avait pas encore quitté le toit paternel, que la fermeté de son caractère et son ascendant moral s’étaient déjà révélés par un triomphe éclatant. Son père, Dengau-Mahomet, comme tous les autres habitans du Daghestan, était adonné à l’ivrognerie. La vigne croît presque partout dans ce pays, et le vin y est abondant. Le précepte du Koran qui interdit sévèrement toute boisson fermentée était complètement oublié. Les grandes propriétés de Dengau-Mahomet lui fournissaient amplement de quoi satisfaire sa passion. Le jeune Schamyl ne cessait de faire des remontrances à ce sujet à son père ; il épiait le moment où son ivresse était dissipée pour paraître devant lui, le livre sacré à la main, et placer sous ses yeux les passages qui prononcent la damnation éternelle contre les infracteurs de ce précepte. Sept fois de suite, Dengau-Mahomet jura de se corriger, mais les sermens d’ivrogne ont apparemment au Daghestan la même valeur que dans notre Europe. Il revenait toujours avec le même entrain à son habitude