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invétérée, et ses voisins ne lui épargnaient ni les railleries ni les rires moqueurs. Schamyl, blessé dans son amour-propre filial et dans sa foi religieuse, déclara au vieillard qu’au premier excès d’intempérance dont il serait témoin, il se donnerait la mort sous ses yeux. La tendresse excessive de Dengau-Mahomet pour son fils, alarmée d’une résolution devant laquelle il savait qu’il ine reculerait pas, lui donna la force de se vaincre ; il jura de ne plus boire désormais une goutte de vin, et cette fois il tint parole jusqu’à sa mort, qui arriva vingt ans plus tard.


II. — SCHAMYL BEN-MOHAMMED, TROISIEME IMAM, CHEF POLITIQUE ET LEGISLATEUR.

Au début de la vie de Schamyl comme chef politique et législateur doit trouver place un épisode relatif aux événemens qui suivirent la mort inopinée de Hamzat-Bek et au choix de son successeur, parce qu’en nous présentant ces événemens d’une manière différente de tout ce que l’on savait jusqu’ici, cet épisode jette aussi un jour nouveau sur le caractère de celui qui s’y trouva mêlé en sa qualité de vicaire de l’imâm. L’ambitieux aux allures violentes ou hypocrites, prêt à tout pour saisir un pouvoir convoité, s’efface pour ne nous laisser apercevoir que le patriote honnête et désintéressé, acceptant la première place de la libre volonté de ses concitoyens légalement exprimée, et après une résistance modeste qui ne céda qu’à l’amour de la patrie. En ceci, comme le fait observer l’auteur russe, Schamyl est d’autant plus croyable que, dans sa situation nouvelle, il n’a aucun intérêt à déguiser la vérité, et qu’il n’ignore pas qu’il existe encore nombre de personnes qui pourraient le démentir. Le jour même où il apprit de Houceïn que Hamzat-Bek venait d’être assassiné, il fit partir des courriers dans toutes les directions pour convoquer les anciens des tribus, les kadhis et tous les hommes marquais par leurs talens militaires ou leur savoir. Le rendez-vous fut fixé à Gotlokatl, au milieu de la chaîne des monts Araktau. Le surlendemain, tous ces chefs, suivis d’une nombreuse population, se trouvèrent réunis.

Dans le conseil, tenu immédiatement, Schamyl fut proclamé imâm à l’unanimité. Il refusa formellement en déclarant que la gestion des affaires publiques, dans les circonstances présentes, était un fardeau trop lourd et trop difficile à porter pour qu’il pût s’en charger, qu’il était prêt néanmoins à seconder de toutes ses forces l’élu de la nation. Il proposa donc de choisir Saghid d’Igala, personnage recommandable par l’étendue de ses connaissances. Saghid avoua franchement que la faiblesse de son caractère le rendait inhabile à des fonctions qui exigeaient surtout une volonté active et inflexible.