Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était réservé la décision des affaires les plus importantes et de la peine à prononcer contre les grands criminels. Au-dessous du tribunal du naïb, il y avait la justice des kadhis, en même temps officiers de police, chargés d’avertir régulièrement le naïb de tous les événemens de quelque gravité, et de donner aux proclamations et aux ordres de Schamyl la plus grande et la plus prompte publicité.

Les naïbs entretenaient un corps de cent à trois cents cavaliers (mourtaries) pour leur garde et leur police particulière. Le corps des mourtaries se recrutait ainsi : chaque dizaine de maisons d’un aoûl fournissait un homme, et, tant qu’il vivait, sa famille était exempte d’impositions. Son équipement et son entretien incombaient aux neuf autres familles. En cas de rassemblement pour une expédition, le naïb était obligé de se trouver prêt, au lieu et au temps indiqués, avec un contingent pris parmi les habitans, et dont le chiffre était déterminé à l’avance. Ceux-ci pouvaient être appelés sous les drapeaux depuis l’âge de quinze ans jusqu’à soixante ; ils devaient savoir à fond le maniement des armes et l’exercice du cheval, et en tout temps être pourvus de cent cartouches au moins. Chacun était tenu de s’équiper à ses frais, et, à l’entrée en campagne, de s’approvisionner de vivres. Il n’y avait d’exception que pour ceux qui prouvaient qu’ils avaient été ruinés par une invasion de l’ennemi ; ils recevaient alors tout ce qui leur manquait, armes ou chevaux, aux frais du trésor public (beït-el-mâl).

Les invalidés, les vieillards, les femmes et les enfans étaient envoyés avec les bestiaux et les meubles au fond des forêts, dans des retraites ignorées et sûres, tandis que les habitations, les réserves de grains et les moissons étaient incendiées. Le pays entier, livré à la destruction, ne présentait plus à l’ennemi en marche que des ruines et la solitude.

Quelques détachemens organisés en colonnes volantes furent un des moyens stratégiques les plus efficaces qu’employa Schamyl dans les commencemens de la guerre. Ces colonnes, menaçantes et rapides comme la foudre prête à éclater sur la tête des montagnards douteux ou rebelles, lui servaient à les contenir dans le devoir. Bans leurs mouvemens insaisissables, elles harcelaient les bataillons russes s’avançant péniblement à travers des lieux impraticables, et traînant le lourd fardeau de leurs convois et de l’artillerie. En 1843, Schamyl avait une cavalerie de cinq mille hommes, soldés comme sa garde et constituant le fonds et la force principale de son armée.

D’après un renseignement fourni par lui-même, dans une soirée qu’il passa chez M. l’aide-de-camp-général de G…, pendant son séjour à Pétersbourg en 1859, l’imâm a eu jusqu’à cinquante mille hommes à la fois sous les armes. Dans la conversation, le nom d’Abd-el-Kader ayant été mis en avant, Schamyl demanda combien d’années