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habitans. En temps ordinaire, ceux-ci la fabriquaient eux-mêmes. Il n’y avait pas de village dans le Daghestan où ils ne produisissent celle qui était nécessaire à leur consommation usuelle ; ils en fournissaient aux Tchetchenses, qui ignoraient l’art de la fabriquer, et qui l’achetaient en donnant deux balles pour une cartouche.

Une autre réforme qui date de 1842 fut celle de l’ancienne hiérarchie militaire, que Schamyl essaya de remplacer par le nizâm (troupes régulières) sur le modèle de l’infanterie russe. Il conféra le grade de général à ses trois principaux naïbs, Akhverdi-Mahoma, Schwaïb-Mollah et Ouloug-Bey, avec le droit de porter sur chaque côté de la poitrine, comme insigne, deux demi-étoiles en argent. Les autres naïbs et plusieurs chefs de sa cavalerie reçurent le titre de capitaine que faisait reconnaître une plaque ovale ; une plaque plus petite caractérisait les substituts des naïbs, les kadhis et les anciens des aoûls. Cette tentative d’organisation militaire n’eut aucun succès ; son nizâm fut écrasé et détruit en 1851 par le prince Bariatinskii, alors général-major, auprès de Schalty, sur la rivière Bassa, et Schamyl abandonna l’idée d’avoir des troupes régulières. Il ordonna même à ses naïbs de ne marcher jamais contre les Russes par masses compactes, mais de les harceler continuellement, sachant que les montagnards sont incapables de soutenir pendant longtemps le feu, particulièrement celui de l’artillerie, et d’affronter en ligne des colonnes serrées.

La discipline était des plus sévères et l’obéissance devait être aveugle ; ses ordres, transmis hiérarchiquement, parvenaient de lui jusqu’au dernier officier. Suivant les circonstances, la plus légère infraction pouvait être punie de mort. Un morceau de feutre gris attaché autour du bras droit était le signe d’infamie pour la lâcheté dans un combat ; une pièce de la même étoffe cousue dans le dos indiquait celui qui avait pris la fuite. Tout homme qui portait le feutre accusateur était exclu du commerce avec les femmes, et il fallait une suite d’actions d’éclat pour qu’il fût réhabilité.

Comme contre-partie des punitions, il y avait un ordre gradué de récompenses et de gratifications ; dans l’origine, elles consistaient en dons en nature, armes, vêtemens, chevaux, bœufs et moutons, quelquefois en sommes d’argent. En 1840, il institua des décorations : une médaille ronde en argent pour les youz-baschis (chefs de cent hommes), avec une inscription attestant que c’était le prix de la bravoure, une plaque triangulaire pour les utsch-youz-baschis (chefs de trois cents), et enfin pour les besch-youz-baschis (chefs de cinq cents) des épaulettes en argent, avec un porte-épée du même métal. Chacune de ces distinctions conférait des honneurs en proportion de sa rareté et de sa valeur. La troisième donnait le rang de bek et de grands avantages pécuniaires.