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mais cet excès, si c’en est un, montre de quels sentimens il était animé. Il voulait marcher le front levé et ne se faisait pas à l’idée que ses erreurs de calcul retombassent sur d’autres que lui. De tels exemples n’ont qu’un tort, c’est de n’être pas contagieux. L’autre leçon qui se dégage de ce fait touche à la vie de l’écrivain. Voici un homme qui a un talent réel : il a montré ce qu’il vaut, il le montrera mieux encore ; mais avant d’être publiciste, député, ministre, membre de l’Institut de France, par quelles épreuves lui aura-t-il fallu passer ! Quelle lutte opiniâtre contre le besoin ! quelles longues années de tribulation et de gêne ! Que son courage eût faibli un seul jour, et cette carrière qui devait être bien remplie aurait été brisée dès le début. Faucher dut à la trempe de son caractère, à des principes solides et droits, de sortir entier et de plus en plus affermi de cette période des commencemens qui est recueil de tant de vocations et où s’abîment tant d’espérances. Volontiers la jeunesse jette un regard d’envie sur les hommes qui sont arrivés, il est bon qu’elle sache par quels chemins ils ont passé. Cette vie d’écrivain qui en apparence mène à tout est plus qu’une autre pleine d’avortemens. Le don naturel ne suffit pas, si l’esprit de conduite ne le fortifie et ne le relève. Nulle part l’individu n’est davantage livré à ses inspirations ; pas de cadre, pas de point d’appui, il ne trouve de règle qu’en lui-même. Il est libre de choisir, à la condition de ne pas se tromper dans son choix et de porter seul le poids de ses méprises. Tout est danger pour lui, le succès aussi bien que l’échec : le succès l’enivre, l’échec le décourage ; il a autant à se défendre des défaillances que des éblouissemens, et doit rester maître de lui dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Comment s’étonner que sur tant d’essais il y ait si peu de réussites, et que dans cette route où l’on s’engage par milliers, quelques-uns à peine échappent aux pièges dont elle est semée ?

Pour Léon Faucher, la crise qu’il venait de traverser ne fut que salutaire ; il vit plus clair dans sa position, et jugea mieux l’instrument qu’il avait entre les mains. Désormais il s’en tint à fournir son concours aux organes qui jouissaient de quelque crédit. Il n’avait fait que passer au Constitutionnel, où, comme rédacteur en chef, il courut la chance d’un duel avec Armand Carrel, qui, à l’appui de ses argumens de journaliste, montrait volontiers son ancienne épée de lieutenant. Sa collaboration au Courrier Français fut plus durable et plus assidue ; en 1839, à la mort de Châtelain, il en prit la direction politique. Pour d’autres, cette responsabilité n’était qu’un jeu ; il s’en fit un tourment. Toutes les feuilles obéissaient alors à l’influence d’un nom considérable ; elles attendaient le mot d’ordre et faisaient volontiers l’office d’échos. La prétention de Faucher fut de s’affranchir de cette servitude ; il lui répugnait de revêtir la livrée