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sur ses pentes, et Yédo fut couverte d’une couche de cendres. Depuis ce temps, le sol a plusieurs fois tremblé au pied de la montagne ; c’est dans une de ces convulsions que la ville de Simoda a été détruite en décembre 1854 et que la frégate russe la Diane a été brisée[1]. Ce terrible tremblement de terre ne limita pas ses ravages à la côte orientale de Nippon ; il se fit sentir dans toute l’île : trente-quatre heures après la destruction de Simoda, une vague immense, semblable à celles qui avaient submergé cette ville, se précipita sur le port et sur la partie inférieure de la riche cité d’Osaka ; Yédo et toutes les villes bâties sur le littoral de sa baie éprouvèrent de grands dommages. Enfin, quelques semaines plus tard, le palais du micado, à Miako, fut consumé dans un incendie avec toutes ses richesses sacrées. Dans ce même moment, Russes, Anglais, Américains, Français se montraient à la fois du sud au nord, de Nagasaki à Hakodadi. Les Japonais s’écriaient avec une profonde terreur que c’était le châtiment d’une terre profanée par l’invasion étrangère.


II

Simoda a été rebâtie, cependant elle ne s’est pas relevée de sa ruine. L’expédition anglaise qui la visita cinq ans après son désastre était frappée de son aspect de misère et de solitude. Elle n’a conservé d’autres habitans que de pauvres pêcheurs. Les maisons n’ont été rebâties qu’en bois, en prévision de quelque nouveau désastre. De plus, la baie n’est pas sûre ; aussi cette ville a-t-elle cédé sa place de port franc à Kanagawa, beaucoup plus importante et munie d’un bon port. De ce point à Yédo il n’y a que dix-huit milles.

La capitale du Japon s’élève au fond de la baie à laquelle elle a donné son nom, et sur les bords du Togadawa, au point où ce fleuve débouche dans la mer. Un riche paysage que domine majestueusement le Fusi-yama lui sert de cadre. C’est, au dire de tous ceux qui l’ont visitée, une ville magnifique, dont la population paraît pouvoir être évaluée, en dehors de toute exagération, à deux millions d’habitans. Elle est fameuse par son luxe, par l’activité de son commerce, par ses temples et par le palais du syôgoun, souverain temporel, qui y réside. L’archipel japonais compte un très grand nombre de villes riches et florissantes, les cités de cent mille âmes, dit-on, n’y sont pas rares ; mais il en est deux surtout qui partagent avec Yédo l’admiration publique : ce sont Osaka et Miako. On les a rapprochées des plus grandes cités de l’Europe. La première, à cause de la puissance de son mouvement commercial, est comparée à Londres ; la

  1. Voyez sur le naufrage de la Diane la Revue du 1er septembre 1858.