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au-dessus de laquelle des cèdres gigantesques projettent leur sombre feuillage. C’est à peu près tout ce que l’on en peut voir, car il va sans dire que la présence d’un étranger ne saurait profaner la demeure du souverain. Le circuit de l’enceinte du château a, dit-on, 8,000 mètres de circonférence ; il abrite quarante mille personnes, et renferme des palais, d’immenses jardins et des demeures champêtres.

Un quartier tout entier est réservé aux mœurs libres des Japonais. On sait que l’immoralité est générale au Japon, bien que, par une contradiction assez étrange, les liens de la famille semblent aussi y être serrés avec beaucoup de vigueur. En effet, les lois punissent l’adultère par la mort des deux coupables. Il est notoire que les pères aiment beaucoup leurs enfans, et les femmes, qui sont dans l’usage de se déformer en s’arrachant les sourcils et en se noircissant les dents aussitôt après le mariage, passent pour manquer très rarement à la fidélité conjugale. Malgré cela, les Japonais, ne sachant sans doute pas se créer dans leur intérieur un attachement et des distractions suffisantes, le quittent fréquemment pour aller s’installer dans des maisons de plaisir, où les rafraîchissemens leur sont servis par des filles qui ne se sont pas mutilé la figure. La prostitution a pris dans toutes les grandes villes des proportions considérables : on dit qu’à Nagasaki elle embrasse près d’un quart de la population féminine ; il est à remarquer que les femmes qui s’y adonnent sont musiciennes, et que souvent elles ont reçu une éducation distinguée. Les maîtres de la plupart des grands établissemens ouverts à la débauche s’appliquent, assure-t-on, à former des sujets dès l’enfance ; on cultive l’esprit en même temps que l’on développe les charmes physiques de jeunes filles recueillies parmi les pauvres et les orphelins ; elles sont instruites dans la poésie, dans les arts de la danse, du chant, et il en est qui savent se faire rechercher, comme les courtisanes de l’ancienne Grèce, pour l’agrément de leur entretien. Ce métier est loin d’être réputé aussi infâme au Japon que chez nous, et il n’empêche pas un certain nombre de ces femmes d’entrer par le mariage dans la vie régulière. Les hommes de toute condition et de tout âge qui fréquentent les lieux dits de plaisir n’y mettent d’ailleurs ni discrétion ni respect humain ; ils vont à l’administration chercher un billet, qui leur est délivré bleu, jaune ou rouge, suivant qu’ils ont l’intention de passer dans l’établissement un ou plusieurs jours, ou seulement quelques heures. À Yédo, le faubourg de Sunagawa est tout entier consacré à ces établissemens, organisés pour la plupart sur une vaste échelle, et offrant les raffinemens les plus recherchés du luxe et de la débauche. Il semble même qu’au Japon, comme chez plusieurs peuplés de l’antiquité, le libertinage se soit introduit jusqu’au sein des rites