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du culte et des mystères de la religion. À Hakodadi, des marins français, violateurs d’un tabernacle, en ont extrait, non sans étonnement, l’antique phallus, et au fameux temple du dieu Quanon les compagnons de lord Elgin ont pu voir étalée dans le sanctuaire même une galerie d’images obscènes.

Ce temple Quanon, qui à la réputation d’être une des merveilles de Yédo, est situé dans la partie de la ville qui se trouve sur la rive gauche du Togadawa, et l’on passe pour s’y rendre le pont célèbre de Nippon-bas, qui est jeté entre les deux parties inégales de la ville, presque à l’embouchure du fleuve. Il est soutenu par des piliers et occupe un espace considérable ; c’est de ce point que l’on compte les numéros des bornes milliaires qui marquent les distances sur tous les chemins de l’empire. Aux abords du temple et dans ses jardins se tient en permanence une foire où d’innombrables petites boutiques, fréquentées par une foule qui ne tarit pas, offrent à leurs visiteurs des laques, des ornemens, des figurines, des jouets ingénieux et bizarres, des fleurs, des oiseaux, des chiens. Il y a des théâtres, des exercices d’adresse, des tirs à l’arc, des échoppes à thé et à rafraîchissemens, tout cela animé par le bruit continu des flûtes et des tam-tams. Le dieu aux cent bras du temple semble être joyeusement fêté. Il est d’origine bouddhique. Le bouddhisme ne s’est introduit qu’assez tardivement au Japon, vers le milieu du VIe siècle de notre ère ; mais, grâce à l’admirable tolérance de ce pays, il y a fait de nombreux prosélytes, dans ses pratiques au moins, sinon dans ses doctrines ; car ce sont les cérémonies, bien plus que l’esprit et la morale de la religion de Çâkyamouni, qui ont pénétré dans l’archipel. Il n’a pas tardé à se scinder en sectes, qui sont aujourd’hui très nombreuses. Les temples bouddhiques, que l’on appelle yasiros et miyas, sont répandus dans les jolies campagnes et sur le penchant des montagnes ou des collines auxquelles s’adossent les villes. La porte d’entrée consiste ordinairement en deux monolithes supportant un long bloc. De là une avenue conduit à un perron au sommet duquel se trouve le sanctuaire de la divinité. De nombreux bosquets offrent aux visiteurs de frais ombrages. Le bouddhisme japonais a donné naissance à quelques corporations qui vivent d’aumônes ; mais il n’a pas engendré ces myriades de mendians qui contribuent tant à la dégradation de Ceylan, de la Chine et du Thibet.

À côté de la religion de Bouddha, et en bonne intelligence avec elle, subsiste le culte primitif, appelé la religion de synsin, la foi aux dieux, le culte des ancêtres. Les fidèles s’appellent sintos, et c’est de cette religion que le micado est le chef suprême. Les honneurs que ce souverain spirituel continue de recevoir nous montrent bien que le bouddhisme ne s’est pas introduit violemment et n’a pas amené de révolution religieuse au Japon. Les deux religions semblent