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unique et qui s’est fait une place à part dans le monde ? Il serait difficile de le préjuger. Ce qui est certain, c’est que le Japon ne doit qu’à lui-même son éducation et son existence, sans que l’isolement l’ait affaibli ou rendu dédaigneux de ce qu’il ne connaissait pas. Son peuple intelligent, laborieux, brave, honnête, garde, par une étrange contradiction, à côté de ces qualités, des vices qui chez nous ruineraient la plus ferme société : l’absence de toute pudeur, l’extrême dissolution des mœurs et le gouvernement le plus despotique, enfermant les individus dans un cadre étroit où il ne leur reste ni action personnelle ni liberté. Le Japon s’est développé dans ce mélange singulier de défauts et de qualités ; il se montre à nous sans aucun signe de décrépitude, et il a l’honneur, seul entre toutes les nations qui se sont formées en dehors de la civilisation blanche, de pouvoir lui faire ses conditions et de traiter sur un pied d’égalité avec elle. Toutefois le Japon ne s’offre pas à nous seulement comme un curieux sujet d’études ; on a vu aussi quelles vastes ressources l’abondance et la richesse de ses productions offrent à notre commerce et à notre industrie. Dans ces derniers temps, les bonnes relations ont été menacées ; une partie de la nation, les princes et les nobles, se montre hostile aux étrangers. Ceux-ci ont eu le tort de s’attirer des reproches mérités par la mauvaise foi qu’on a vue reparaître dans certaines transactions ; des rixes ont eu lieu, le sang même a coulé, et toutes les récentes nouvelles nous présentent les Japonais comme préparant activement la guerre. C’est un malheur qu’il importe par-dessus tout d’éviter : un grand esprit de conciliation, une probité sévère doivent régler nos rapports avec le Japon. Il importe de ne pas oublier que nous sommes en présence d’une crise qui va décider si ce pays justement défiant ne se refermera pas encore, ou si les traités conclus pourront enfin inaugurer une ère de relations durables.


ALFRED JACOBS.