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Les preuves morales sont celles qui résultent de la beauté, de l’onction, de la force pénétrante du livre, celles qui concluent que ce livre est divin parce qu’il parle avec des accens qui ne sont pas de l’homme, — preuves excellentes en ce qu’elles s’adressent directement au sentiment religieux, mais faibles en ce qu’elles supposent que ce qui est excellent ne saurait être humain, et insuffisantes en ce qu’elles n’enveloppent pas toute la Bible, mais ne s’appliquent qu’à quelques livres de ce recueil, à quelques morceaux de ces livres. Quant aux preuves historiques, elles se réduisent à une seule, le miracle.

Rien ne montre mieux quelles sont les variations de l’opinion que cette question du miracle. Jusqu’au siècle dernier, le monde croyait au surnaturel, et le surnaturel répondait à toutes les objections. Aujourd’hui les argumens de cet ordre ne sont pas seulement devenus moins forts, ils sont devenus compromettans, et tandis que le miracle servait jadis à prouver, c’est lui qui a maintenant besoin de preuves. À quoi faut-il attribuer ce changement ? Bien moins aux discussions des rationalistes qu’à l’influence insensible des faits. Les considérations générales sur l’impossibilité ou l’inutilité d’une intervention extraordinaire de la Divinité, les raisonnemens de Hume sur l’insuffisance du témoignage pour établir un fait surnaturel, tout cela n’aurait probablement pas suffi pour produire cette incurable défiance qui s’est glissée dans l’esprit moderne au sujet du merveilleux, et qui nous rend insensibles à toutes les démonstrations de l’ancienne apologétique. L’incrédulité dont je parle est un résultat de l’expérience. Nous avons trop souvent vu la tradition s’évanouir devant l’examen, la légende se dissoudre au contact d’une méthode un peu rigoureuse, le merveilleux disparaître sous les procédés de la critique, pour ne pas nous tenir en garde contre les récits de ce genre. L’étude de la nature a agi d’une manière plus efficace encore, quoique plus indirecte. L’idée des lois de la nature, l’ordre de l’univers, le rapport étroit de la cause et de l’effet, ont pris possession de notre intelligence, et y sont devenus comme la base même et la règle de la certitude.

Avec la foi au miracle sont tombés les principaux argumens des protestans en faveur de la divinité de l’Écriture ; mais ces argumens seraient plus solides qu’ils ne convaincraient plus personne aujourd’hui. Il suffit en effet d’ouvrir le volume sacré pour s’apercevoir qu’il ne répond en rien au caractère dont on avait voulu le revêtir. Un livre divin, un livre inspiré est un livre infaillible. Il ne peut se trouver en contradiction avec aucun fait avéré. Eh bien ! — encore une fois, je ne fais que reproduire le langage des Essais et Revues, — la Bible, envisagée comme écrit religieux, est sans doute ce qu’il y a