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de plus grand, de plus divin au monde ; mais on chercherait vainement à la mettre en harmonie avec les découvertes de la science : elle représente les vues d’un peuple, les idées de l’antiquité, voilà tout.

Le premier conflit de la science avec la Bible eut lieu au XVIe siècle, lorsque Copernic renversa la cosmologie des anciens, et au XVIIe, lorsque Galilée fut obligé de rétracter à genoux l’hérésie du mouvement de la terre « comme expressément contraire à l’Écriture. » Depuis lors il a bien fallu se rendre à l’évidence. La lutte, de nos jours, a été renouvelée par la géologie. L’étude des terrains et des débris organiques qu’ils renferment est doublement en désaccord avec le premier chapitre de la Genèse ; elle nous montre que l’ordre suivi par la nature dans la formation des êtres n’est point celui qu’indique le récit sacré, et l’on est forcé d’admettre pour chacune des périodes créatrices, non plus des jours de vingt-quatre heures, mais des espaces de temps qui ne peuvent s’évaluer que par milliers d’années. Ces faits n’étant plus contestés, la théologie en est réduite à équivoquer sur les textes. Le monde puisait jadis sa science dans la Bible ; c’est la Bible aujourd’hui qui tâche de suivre la science et de s’y accommoder.

Après la géologie vient la chronologie. Les étroites limites dans lesquelles l’Ancien Testament renfermait l’histoire de l’humanité ont été brisées par des recherches récentes. M. de Bunsen, homme pieux, chrétien convaincu, mais qui ne pensait pas devoir faire à la religion le sacrifice de la vérité, M. de Bunsen a été conduit par ses études à placer les commencemens de la civilisation égyptienne quatre mille ans avant notre ère, et à réclamer pour l’humanité une durée d’au moins vingt mille années.

Passons de la chronologie à l’histoire proprement dite. La critique est venue nous apprendre, dans les traditions des Hébreux comme dans celles des autres peuples, à distinguer l’âge fabuleux de l’âge historique. De même que l’histoire certaine de Rome date aujourd’hui pour nous de la seconde guerre punique ou de la prise de la ville par les Gaulois, de même M. de Bunsen regarde comme mythique la portion de nos récits sacrés qui précède la vie d’Abraham, et M. Wilson, l’un des auteurs du recueil que j’analyse, va bien plus loin encore ; il ne trouve de certitude entière que mille ans plus tard, à partir de la séparation des deux royaumes et de la prise de Jérusalem par Sisak. Le sacerdoce juif n’aurait point été établi par Moïse, mais par les rois, et il n’aurait revêtu que vers la fin du royaume de Juda l’importance et les attributions dont nous le voyons entouré dans des livres rédigés fort tard et sous l’influence du sacerdoce lui-même.