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que l’on sait, est-ce bien l’essence des dogmes positifs, ou n’en serait-ce que le caput mortuum ? Le christianisme rendu transparent pour l’esprit, conforme à la raison et à la conscience, possède-t-il encore une grande vertu ? Ne ressemble-t-il pas beaucoup au déisme et n’en a-t-il point la maigreur et la stérilité ? La puissance que les croyances exercent ne réside-t-elle pas dans les formules dogmatiques et les légendes merveilleuses tout autant que dans leur contenu proprement religieux ? N’y a-t-il pas toujours un peu de superstition dans la vraie piété, et celle-ci peut-elle se passer de cette métaphysique populaire, de cette brillante mythologie qu’il s’agit d’en éliminer ? Les élémens dont vous prétendez dégager la religion ne sont-ils pas l’alliage sans lequel le métal précieux devient impropre aux rudes usages de la vie ? Enfin, quand la critique aura renversé le surnaturel comme inutile et les dogmes comme irrationnels, quand le sentiment religieux d’une part et de l’autre une raison exigeante auront pénétré la croyance et l’auront transformée en se l’assimilant, quand il n’y aura plus d’autorité debout si ce n’est la conscience personnelle de chacun, quand l’homme en un mot, ayant déchiré tous les voiles et pénétré tous les mystères, contemplera face à face le Dieu auquel il aspire, ne se trouvera-t-il pas que ce Dieu n’est autre chose que l’homme lui-même, la conscience et la raison de l’humanité personnifiées, et la religion, sous prétexte de devenir plus religieuse, n’aura-t-elle pas cessé d’exister ?

Tel est, si je ne me trompe, le redoutable problème qui s’élève par-delà toutes les questions d’église et de rivalité ecclésiastique, et qui prête un si tragique intérêt aux controverses actuelles du protestantisme. Il semble qu’une religion ne puisse aspirer à être, je ne dis pas plus rationnelle, mais plus religieuse même, sans cesser pour autant d’être une religion ; il semble qu’en se perfectionnant elle se détruit, et qu’il lui soit également impossible de résister au mouvement et d’y céder, de se laisser dépasser et de se laisser emporter par les progrès de l’humanité. Qu’on y prenne garde : l’avenir du christianisme est tout entier dans la solution de cette difficulté.


EDMOND SCHERER.