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annuité viagère de 125 livres constituée sur la tête de la femme, allèrent s’enfermer dans un cottage du Caernarvonshire. Là naquit d’eux, au mois de janvier 1741 (cette date a été terriblement controversée), la future amie de Samuel Johnson. Le docteur était alors déjà dans sa trente-deuxième année, et frayait péniblement sa voie dans les plus obscurs bas-fonds de la littérature marchande.

Fille unique, objet de soins assidus que l’oisiveté des champs explique surabondamment, Hester Salusbury devint, nous dit-elle, Un « demi-prodige. » A dix ou douze ans, elle traduisait le français, et pareil mérite dans le Caernarvonshire pouvait effectivement être assez rare. Il fut décidé en conseil de famille que de pareilles lumières ne devaient point rester sous le boisseau. Hester avait un oncle maternel assez riche, et tout récemment devenu veuf. Elle lui écrivit une lettre pour laquelle toute sa rhétorique enfantine avait été mise en réquisition. Sir Robert Salusbury Cotton (l’oncle en question) répondit qu’il serait enchanté d’embrasser sa sœur et sa nièce. La mère et la fille ne se firent pas répéter deux fois cette invitation prévue, et elles arrivèrent à Llewenney, dont la grande tournure gothique, les salles tapissées d’armures, etc., frappèrent vivement l’imagination de la petite Hester. Ainsi qu’on l’avait présumé, le vieil oncle, sans enfans lui-même, se prit à aimer l’enfant de sa sœur, et la petite « Fiddle, » — il l’avait ainsi rebaptisée, — fut bientôt couchée pour 10,000 livres sterling sur un testament en projet que devait régulariser sir Robert. Par malheur, il n’aimait pas autant son beau-frère, dont l’orgueil rébarbatif ne s’accommodait qu’à demi du rôle de patroné, auquel ses folles prodigalités l’avaient réduit. Afin de rester en pleine possession de la gentille Hester, son oncle ne demandait qu’à obtenir pour le beau-frère incommode une commission dans l’armée ; mais l’autre n’entendait pas se laisser exporter si facilement. — Non, disait-il, non, sir Robert, si je me fais soldat, votre sœur portera le havresac, et la petite aura pour vivre ce que je pourrai gagner. — Ces débats s’aigrirent si bien qu’il fallut quitter Llewenney-Hall, et presque aussitôt on apprit la mort de l’oncle Robert, enlevé par une apoplexie. Le testament projeté n’existait pas encore, et un acte de même nature, antérieurement rédigé par provision, fit passer toute la fortune, sans aucune réserve, sur la tête de sir Lynch Salusbury-Cotton, un autre frère de la mère d’Hester.

Celle-ci continuait à Londres sa carrière d’enfant prodige chez les amis de la famille, apparentée aux plus grands personnages. L’acteur Quin lui apprenait, pour qu’elle le récitât chez la duchesse de Leeds, « le discours de Satan au soleil » dans le Paradise lost. Aux feux d’artifice tirés à l’occasion de la paix d’Aix-la-Chapelle,