Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(futurity), je voudrais passer ma vie dans un équipage lancé à fond de train, et en tête à tête avec une jolie femme ; mais je la voudrais capable de me comprendre, et aussi qu’elle mît du sien dans la conversation. » Ceci nous remet en mémoire son apostrophe solennelle à David Garrick, qui l’avait conduit un soir dans le foyer des acteurs. On nous permettra pourtant de ne la citer qu’en anglais, et cela pour bien des raisons, mais principalement parce qu’elle perd trop à être traduite : — I’ll come no more behind your scènes, Davy, for the silk stockings and while bosoms of your actresses excite my amorous propensities.

Ces « propensions amoureuses » du docteur, si fort en désaccord avec son étrange tournure, demeurent un fait acquis à l’histoire. Non-seulement il aima les femmes en général, mais il eut pour quelques-unes d’entre elles un sentiment de préférence très marqué, moins mal accueilli qu’on ne pourrait le croire. Elles devinaient en lui l’homme capable, à vingt-sept ans, d’épouser par amour une femme de quarante-huit et de confesser hautement la passion qu’elle lui avait inspirée. Dans l’indulgence singulière que lui témoignèrent des femmes comme miss Hill Boothby et Molly Aston, cette reconnaissance du sexe entrait pour le moins autant que le désir d’être remarquées par un homme célèbre : laudari à laudato. Et puisque nous avons risqué du latin, citons le charmant distique adressé par Johnson à cette Molly Aston, qui était à la fois une savante, une coquette et une whig. — Répondant à ses perpétuels éloges de la liberté, le poète lui disait :

Liber ne esse velim, suasisti, pulchra Maria :
Ut maneam liber, pulchra Maria, vale[1] !

Mistress Thrale lui inspira aussi force madrigaux anglais ou latins (et grecs peut-être), mais on ne voit pas que le docteur ait jamais été en coquetterie réglée avec elle, ni, qu’elle ait eu la moindre prétention sur ce cœur si aisément accessible. En somme, Floretta semble être restée, autant qu’on puisse le démêler, une femme sans peur et sans reproche. Nous devons lui en savoir d’autant plus de gré, qu’elle eût pu, comme tant d’autres, s’autoriser, et de l’indifférence,

  1. Quand on se permet une citation latine, il faut savoir l’expier. Aussi risquerons-nous la paraphrase du distique de Johnson :
    A quoi donc sert, Molly, de prêcher avec feu
    La liberté que tes yeux nous ravissent ?
    Il est bien temps que ces luttes finissent,
    Et si tu veux que je sois libre,… adieu !
    Properce, avant Johnson, avait dit :
    Nullus liber erit, si quis amare volet.
    (XXIII. — De Amoris servitute.)