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Le grand ministère de la guerre, sous un tel homme, pèse d’un si grand poids, que les autres même, on peut le dire, n’osent se désorganiser. Qui le remplacera ? Le roi seul.

En 1689, la France, attaquée par l’Europe, se regarde, et voit qu’au bout de dix années de paix elle est ruinée. Qui a fait cette ruine ? Deux choses qui arrivent au déclin des empires : le découragement général et la diminution du travail, la complication progressive de l’administration et des dépenses ; Telle la fin de l’empire romain. Ajoutez-y l’amputation énorme que la France vient de faire sur elle-même, la révocation de l’édit de Nantes.

En 1661, à l’avènement de Colbert, il n’y avait qu’une cour, toute petite, et qui tenait dans Saint-Germain. Depuis 1670, Colbert fut condamné à faire ce monstrueux Versailles. Lorsque Louvois le remplace comme surintendant des bâtimens, c’est bien pis. On bâtit partout. Au lieu d’une cour, il y en a dix, et Versailles a fait des petits.

Sans parler de Monsieur, qui réside à Saint-Cloud, ni du Chantilly des Condés, tout le gracieux amphithéâtre qui couronne la Seine se couvre de maisons royales. Le dauphin maintenant est devenu un homme, et il a sa cour à Meudon. Les enfans naturels du roi, de La Vallière, de Montespan, fils et filles, reconnus, mariés, tiennent un grand état. Les Condés et les Orléans épousent ces filles de l’amour, les petites reines légitimées de France. Chacune devient un centre, a sa cour et ses courtisans. De Villers-Cotterets à Chantilly ou à Anet, de Fontainebleau ou de Choisy à Sceaux, à Meudon, à Saint-Cloud, de Rueil à Marly, à Saint-Germain, tout est palais, tout est Versailles.

Ainsi de plus en plus, dans l’amaigrissement de la France, le centre monarchique va grossissant, se compliquant. Ce n’est plus un soleil, c’est tout un système solaire, où des astres nombreux gravitent autour de l’astre dominant. Celui-ci pâlirait, si de nouveaux rayons ne lui venaient toujours. Versailles, que l’on croyait fini, va s’accroissant, s’augmentant, comme par une végétation naturelle. Il pousse vers Paris des appendices énormes, vers la campagne l’élégant Trianon, les jardins de Clagny, l’intéressant asile de Saint-Cyr, enfin ce qui est le plus grand dans cette grandeur, le Versailles souterrain, les prodigieux réservoirs, l’ensemble des canaux, des tuyaux, qui les alimentent, le mystérieux labyrinthe de la cité des eaux.

Louvois, par son système d’employer le soldat, de le faire terrassier, maçon, put dépasser Colbert. Il gagea d’effacer le pont du Gard et les œuvres de Rome, promit d’amener à Versailles toute une rivière, celle de l’Eure. Des régimens entiers périrent à ce travail