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temps où le père, officier de marine, était en mer ; elle demanda l’enfant à Mme de Villette « seulement pour la voir, » et elle refusa de la rendre. Le père cria, puis réfléchit, calcula, se convertit lui-même. La petite, qui avait huit ans, légère comme un oiseau, prit son parti fort vite. Elle fut ravie de la messe du roi. On lui promit deux choses, qu’elle verrait tous les jours ce beau spectacle, et qu’elle n’aurait plus jamais le fouet[1].

Ce fut un rajeunissement pour la dame d’avoir, voltigeant autour d’elle, ce charmant papillon. Elle en avait besoin. Outre son âge, que de choses avaient marqué sur elle ! Des passions ? Non, mais des misères et des fatalités. La pauvreté jadis l’avait mariée, l’avait faite la complaisante des grandes dames, même de tel ami qui, dit-on, la fit vivre ; puis vint cette honnête servitude de gouvernante chez Mme de Montespan. Elle eut à cinquante ans cette étrange nécessité (1683) de remplacer la reine, Montespan et Fontanges, celle-ci si fraîche et si jeune, à vrai dire, un enfant. On fut d’autant plus étonné de voir le roi prendre une personne si mûre. Il aimait beaucoup la jeunesse. Il se prévenait volontiers pour les belles personnes. Mme de Maintenon se rendit justice, et crut judicieusement qu’il trouverait plaisir à protéger, soigner une maison de jeunes demoiselles. Elle en créa une à Rueil, où sa propre nièce acheva son éducation. Elle n’aimait pas, dit cette nièce, le mélange des conditions. Elle ne prit que des demoiselles nobles, au moins du côté paternel ; elles devaient prouver quatre quartiers, cent quarante ans de noblesse. Cela entrait dans les idées du roi, qui alors, pour relever la pauvre noblesse, lui ouvrait pour ses fils des écoles de cadets. Les demoiselles devaient faire preuve aussi de pauvreté, et de beauté encore, si l’on peut dire. Du moins elles devaient être bien faites. Elles passaient pour cela la visite d’un médecin qui leur en donnait certificat.

Cette maison, transportée chez le roi même, dans son parc (à Noisy, puis à Saint-Cyr), richement dotée par lui des biens de Saint-Denis, devait attirer les filles de la noblesse, car le roi les mariait. Celles qui restaient jusqu’à vingt ans recevaient une dot, tirée de l’excédant des revenus, sinon du trésor même[2]. Là on faisait venir les plus jolies, les plus dociles des nouvelles catholiques domptées

  1. Cette rude éducation durait dans les familles de vieille roche. Le dauphin même (élève de Montausier et de Bossu et), dans sa première enfance, était fouetté par ses femmes et nourrices ; plus tard, son gouverneur lui donnait des férules, et si durement qu’une fois il crut avoir le bras cassé.
  2. Ce fut d’abord une faveur, puis en 1608 la règle générale (Hélyot, IV, 427). Je ne trouve point ce détail important dans les très bons ouvrages de M. Lavallée et de M. de Noailles. Ils ont donné les grands traits de cette histoire. Je l’ai complétée, expliquée par les lettres de Mme de Maintenon, de Fénelon, de Bossuet, par Mme de Caylus, Phelippeaux, Ledieu, Legendre, etc.